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S’interroger sur la Bible ?

S’interroger sur la Bible ?

Alain Michel, Parashat Vayishlach -

Cette semaine, nous voudrions nous confronter non pas au récit lui-même de la parasha  , mais au support de celui-ci, au texte de la Torah et, d’une manière générale, au regard porté sur le texte biblique.

Non qu’il n’y ait rien de passionnant dans l’histoire qui nous est conté, bien au contraire.

Le récit du retour de Jacob sur la terre de Canaan, suivi de sa rencontre avec Esau, représente un passage essentiel de notre identité juive. N’est-ce pas à cette occasion que Jacob devient Israël, et que nous même sommes devenus "les enfants d’Israël" ? N’y a-t’il pas des questions à se poser devant l’étonnant comportement de notre ancêtre Jacob, tant sur le choix de sa stratégie d’affrontement avec Esau que sur l’étrange "servilité" qu’il paraît montrer face à son frère.

Pourtant notre attention se porte cette semaine sur une question plus générale : comment réagir aux problèmes que pose le texte de la Torah sur le plan historico-littéraire.

Un verset de notre parasha   peut illustrer et préciser notre interrogation. La fin de Vayishlach est consacrée à la descendance d’Esau.

Le verset 31 du chapitre 36 s’énonce ainsi : "voici les rois qui ont régné sur la terre d’Edom avant qu’un roi ne règne sur les enfants d’Israël".

On voit immédiatement la difficulté posée par le texte de la Torah : le premier roi qui ait régné en Israël est Shaül, qui se situe quelque 400 ans après la sortie d’Egypte, bien longtemps donc après le temps de Moïse, le transcripteur de la Torah !

Notre conscience instinctive de l’unité de la Torah nous amène souvent à refuser de nous affronter à ces difficultés du texte. Mais il y sans doute également la croyance naïve qu’a l’ère de la science tout doit se mesurer à l’aune de cette même science.

Pour la grande majorité du public juif traditionnel, vérité thoraïque et vérité scientifique ne font qu’un. Toute acceptation de remettre en cause l’historicité d’un seul verset de la Torah remettrait en cause la croyance dans le Judaïsme. De même, toute tentative de contradiction scientifique, par exemple géologique ou physique, menacerait d’écroulement l’ensemble de la foi juive.

Il en résulte très souvent une attitude relevant presque de la schizophrénie : telle personne qui dans la vie courante exerce de manière intensive son esprit critique s’en trouve totalement dépourvu dès que l’on touche aux affirmations de la tradition.

Tel établissement scolaire qui considère qu’il est indispensable de munir ses élèves d’un bagage scientifique complet pour garantir leur réussite professionnelle passera totalement sous silence certaines parties de la science qui pourraient être vues comme remise en cause des descriptions bibliques.

Cette attitude est en fait récente dans le Judaïsme. Pendant longtemps, les maîtres d’Israël n’hésitaient pas à souligner les problèmes et à tenter de s’y confronter en s’appuyant sur la tradition mais aussi sur leurs propres déductions.

Ils ne pensaient pas que sciences et foi sont deux termes synonymes et la croyance dans la vérité du Judaïsme n’excluait pas un questionnement montrant les limites du texte sacré lorsque l’on aborde des domaines qui ne sont pas théologiques.

Ainsi Rashi   avertit-il ses lecteurs dès le premier verset de la Genèse que la Torah n’a pas pour prétention de donner un ordre de la création qui soit scientifique.

Le commentaire d’Avraham Ibn Ezra   sur le verset "difficile" de notre parasha  , que nous avons cité plus haut, est intéressant. En effet, dans d’autres passages ce célèbre commentateur n’hésite pas à être "iconoclaste", comme lorsqu’il affirme dans le Deutéronome que le dernier chapitre n’a pas été écrit par Moïse mais bien par son successeur Josué, écornant ainsi le dogme de "la torah de Moïse".

Il amène dans son commentaire sur Genèse 31, 36 trois hypothèses : la première, soutenue par certains, est que ce verset a été écrit sous révélation prophétique, approche qui ne paraît pas le satisfaire vraiment.

La deuxième hypothèse, citée au nom d’un certain "Itshaki" repousse la rédaction de ce verset aux siècles de la royauté. Ibn Ezra conteste absolument cette approche, mais est soucieux cependant de faire partager son existence à son lectorat.

Enfin la dernière hypothèse reflète son opinion personnelle : le premier roi à régner sur Israël est en fait Moïse, et la difficulté est ainsi résolue.

Deux choses sont ainsi remarquables dans ce commentaire : le courage de se poser des questions, et l’honnêteté de citer les opinions qu’il conteste absolument. Puissions-nous, dans notre approche régulière de la Bible, prendre Ibn Ezra comme modèle de Juif authentique et possédant pourtant un esprit libre et critique.

PS : Plusieurs lecteurs m’on fait remarquer, à propos du commentaire sur Vayishlach, que Ibn Ezra propose de brûler les écrits d’Itzhaki, et qu’il est difficile d’y voir là un modèle de tolérance en matière de commentaire. Sur le plan du sens textuel d’Ibn Ezra ils ont tout à fait raison, même si nous persistons à penser qu’il ne faut pas prendre cette "menace" au pied de la lettre.

Rabbin   Alain Michel – Rabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

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Messages

S’interroger sur la Bible ?

pouvez-vous expliquer plus precisement ce qui pose probleme dans le verset cité plus haut ?

Cordialement,

S’interroger sur la Bible ?

La généalogie des rois d’Edom va jusqu’aux rois d’Israël qui eux même n’apparaitrons que des centaines d’années plus tard. Soit le texte prévois l’avenir, y compris des noms de rois, soit il a été écrit postérieurement, donc pas par Moïse... C’est la question qui préoccupe Ibn Ezra.

Yeshaya Dalsace

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