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La participation des femmes aux obsèques

La participation des femmes aux obsèques

résumé d’un responsum du rabbin David Golinkin -

Certaines communautés juives perpétuent des coutumes qui visent à séparer les hommes des femmes pour les obsèques, voire à interdire la cérémonie aux femmes.

L’une de ces coutumes consiste à installer une mehitsa (séparation physique : cloison, paroi, voile) pour compartimenter les sexes durant l’éloge funèbre. Une autre prescrit qu’hommes et femmes ne se mélangent pas sur le chemin du cimetière. Selon une troisième, la Hevra Kadicha (organisme funéraire) interdit aux parentes directes du défunt d’approcher du lieu d’inhumation, de sorte que seuls les hommes participent à l’enterrement. Une quatrième tradition exclut totalement les femmes de la cérémonie et de la mise en terre. Ces règles (et en particulier la dernière d’entre elles) suscitent souvent amertume et contrariété chez les parentes proches du défunt. Quelle est la source de ces coutumes ? Correspondent-elles à des commandements formels ? Est-il possible de légiférer de façon différente ?

Parmi ces quatre coutumes, seule la deuxième apparaît dans les sources talmudiques. Notamment, une baraïta   stipule que « si la coutume locale est que les femmes marchent devant le cercueil, celles-ci sont tenues de le faire ; si c’est de suivre le cercueil, elles marcheront derrière » (Sanhédrin 20a). À lire ces lignes, il apparaît que dans un cas ou l’autre, hommes et femmes sont séparés pour accompagner le cercueil. Au demeurant, on sait que cette source comme toutes les sources talmudiques, partent du principe que les femmes sont présentes, sans restrictions, à l’éloge funèbre et à la mise en terre.

En réalité, la plupart des coutumes mentionnées ci-dessus se fondent sur un passage du Zohar interprété par Rabbi Yossef Caro   dans le Choulhan âroukh. Le Zohar indique que si les hommes lorgnent des femmes au sortir du cimetière, « cela risquerait de provoquer (sur eux) une mort prématurée. » Aussi les hommes doivent-ils éviter de regarder des femmes en allant au cimetière comme en le quittant. En se fondant sur ce passage, Caro   a estimé que le meilleur moyen d’éviter ce « danger » était d’empêcher purement et simplement les femmes d’assister aux obsèques. Cette décision fit pratiquement l’unanimité parmi les décisionnaires plus tardifs. Une autorité plus moderne a en outre décrété que la véritable motivation de cet interdit était de prévenir les « pensées lascives » durant l’éloge funèbre et l’inhumation. D’autres ont affirmé que les femmes en état de nida   (menstruation) ne pouvaient pénétrer dans un cimetière. Il n’en demeure pas moins que la décision de Caro   entre en contradiction directe avec toutes les sources qui l’ont précédée. Il existe des preuves irréfutables que, de la période biblique à l’époque de Yossef Caro   (XVIe s.), les femmes participaient bel et bien aux cérémonies d’inhumation. Le fait que divers décisionnaires ayant précédé le Choulhan âroukh préconisaient la séparation des sexes dans le cortège funèbre présuppose l’accès des femmes à la cérémonie du cimetière. Plus encore, même après la publication du Choulhan âroukh, des décisionnaires ont jugé nécessaire d’instaurer la séparation des sexes dans le cortège funèbre, en raison du danger mentionné dans le Zohar, mais sans pour autant exclure les femmes ni de la cérémonie d’éloge funèbre, ni de l’inhumation.

D’autres facteurs autorisent également à ne pas se plier à la décision de Caro  . Comme nous l’avons dit, celle-ci n’est même pas justifiée par le Zohar lui-même. En outre, un principe halakhique bien établi stipule que lorsque le Zohar et le Talmud   de Babylone entrent en conflit sur une norme à appliquer, on accorde préséance à l’autorité du Talmud  . Yossef Caro   était un mystique qui, pour sa part, avait tendance à privilégier le Zohar sur le Talmud  , comme il le fait ici. Au demeurant, la plupart des décisionnaires estiment que dans un tel cas, on est en droit, à titre individuel, d’opter pour la rigueur du Zohar, mais qu’il ne convient pas de contraindre l’ensemble du public à faire de même . [1]

Enfin, les autorités s’accordent presque toutes sur le fait que « les mauvaises inclinations ne prévalent pas au cimetière » et qu’il n’y a donc pas lieu de craindre l’émergence de “pensées lascives”. De même, aucune règle halakhique fondamentale n’interdit aux femmes en état de menstruation de pénétrer dans un cimetière.

On ajoutera à cela, a contrario, que ces coutumes contraignent les femmes à violer trois principes talmudiques :
1. « Loeg la-rach (le mépris envers l’indigent) » : Tout individu qui voit passer devant lui un cortège funèbre (de nos jours : qui serait sollicité pour y assister) et ne s’y adjoint pas, viole cet interdit. Si des étrangers à la famille doivent répondre de cette obligation, n’est-ce pas le cas a fortiori des proches parentes du défunt ?
2. « Kevod ha-briot (la dignité humaine) » : Selon le Talmud  , le respect de la dignité humaine passe avant tout autre commandement rabbinique ou biblique. Si c’est le cas, il va sans dire que le Kevod ha-briot doit avoir préséance sur une ancienne coutume fondée sur une crainte superstitieuse et contredite par toutes les sources talmudiques !
3. « Kevod ha-mèt (l’honneur du défunt) » : Toujours selon le Talmud   et les décisionnaires, entendre l’éloge funèbre est un devoir important envers le défunt. Sans conteste, l’immense majorité des personnes de notre époque souhaitent qu’à leur décès, l’ensemble de leurs proches, hommes et femmes, assistent à la cérémonie et à l’inhumation. Empêcher les femmes qui souhaitent être présentes ne constitue pas seulement un manque de considération envers les vivants, mais aussi un outrage pour le défunt, puisque cela s’oppose à sa volonté.

En résumé, il n’existe aucune source talmudique ou halakhique qui exige la séparation des sexes au moment de l’éloge funèbre. Sachant que la plupart des autorités estiment qu’il n’y a pas lieu de « craindre les pensées lascives » lors d’obsèques, il n’y a aucune raison de perpétuer une telle coutume là où elle est encore appliquée. Par ailleurs, l’interdiction pour les femmes d’assister à la cérémonie et à l’inhumation repose exclusivement sur l’interprétation des paroles du Zohar donnée par le rabbin   Yossef Caro  , auteur du Choulhan âroukh. Elle entre en contradiction avec le Talmud   de Babylone et ce qu’en ont déduit les décisionnaires ayant précédé Caro  . Elle n’est même pas avérée par le Zohar lui-même. Pas plus, du reste, qu’on ne peut privilégier les normes prescrites par le Zohar aux dépens de celles qui sont prescrites par le Talmud   de Babylone. En outre, nous avons établi qu’aucune règle fondamentale ne considère l’impureté rituelle due à la menstruation comme devant prohiber l’accès au cimetière.

En outre, de telles coutumes obligent les femmes à violer des commandements fondamentaux liés à la dignité des personnes. Aucun rabbin   ou Hevra Kadicha ne devrait contraindre le public à agir en accord avec l’ascèse du Zohar aux dépens des normes talmudiques. Tout au plus, un individu ou une famille pourraient-ils choisir de respecter cette coutume rigoriste, quoiqu’il soit de loin préférable d’agir en accord avec la Halakha   et ses principes éthiques, en encourageant les femmes à honorer les disparus. Elles devraient alors assister, au même titre que les hommes, à l’éloge funèbre, aux obsèques et à l’inhumation.

La seule coutume restrictive que l’on pourrait à la rigueur estimer justifiée est la séparation des sexes dans le cortège qui se rend au cimetière. Elle possède un fondement talmudique quoiqu’elle soit sans doute issue de la coutume grecque particulièrement sexiste. En tout état de cause, elle reste une coutume, et non un commandement ou un pilier de la Loi. C’est pourquoi, si elle est contraire aux habitudes locales ou aux souhaits de la famille ou du défunt, elle doit être abandonnée pour le devoir d’honorer la dignité humaine.

Traduction de l’anglais par Elisabeth Kern

[1Ainsi, les rabbins Eliya Halévi et le Maharchal ont récusé toute autorité halakhique au Zohar. D’autres, tels que le Radbaz, Rabbi Yitshak Caro, Rabbi Avraham Zekhout et Rabbi Yehouda Obernick, estiment qu’il y a lieu d’adopter les décisions et les coutumes prescrites par le Zohar, dans la mesure du possible. Cependant, en cas de contradiction entre le Talmud de Babylone et le Zohar, ou entre les décisionnaires et le Zohar, ils considèrent que la préséance revient au Talmud et aux décisionnaires. Qui plus est, certains décisionnaires qui intégrèrent les mesures de sévérité préconisées par le Zohar, tels que le rabbin Schnéour Zalman de Liady, fondateur de l’école Habad, considèrent que « l’on ne peut contraindre le grand public à ces mesures d’ascèse » (cf. le Choulhan âroukh de ce maître, O.’’H. 25 28 et Maguen Avraham, ibid. 100:20).

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