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Moïse (Moses) Mendelssohn

Moïse (Moses) Mendelssohn

( Dessau 1729 - Berlin 1786) -

Philosophe juif des Lumières et père de la modernité juive.

Pour comprendre l’importance de Mendelssohn  , il faut se replacer dans le contexte historique.

À son époque les juifs étaient maintenus dans une situation dégradante, à l’écart de la société et même de certaines villes. C’est ainsi que lui-même ne put entrer à Berlin qu’avec un « laissez-passer » spécial. Cette époque était également celle de l’apparition des « Lumières » prônant tolérance et ouverture intellectuelle et annonçant déjà les idéaux de la révolution française. Mais les juifs d’Europe ne comptaient pas beaucoup dans les débats et ne suscitaient en général que le mépris nourrit de siècles d’antijudaïsme chrétien.

Dans un contexte aussi difficile Mendelssohn   va incarner une réussite intellectuelle extraordinaire, en réussissant à se faire admettre dans la plus haute société berlinoise. Il va prouver la capacité d’un petit juif pauvre, laid et autodidacte à s’imposer dans les plus prestigieux salons.
Mendelssohn   incarnera pour toujours une figure juive exceptionnelle et une réussite digne d’un roman. Son œuvre philosophique prête à débat, mais reste également l’expression d’une volonté farouche de défendre les droits de son peuple opprimé.

Des débuts difficiles

Moses Mendelssohn   naît à Dessau le 6 septembre 1729. Son père, Mendel, assure chichement son existence comme Sofer (scribe—copiste de livres—). Probablement mal nourri et rachitique, Moses devient bossu dans son jeune âge. Il est éduqué par son père et le rabbin   local, David Fränkel, lequel lui enseigne, outre la Bible et le Talmud  , la philosophie de Maïmonide  . Lorsque le Rav Fränkel est rappelé à Berlin, en 1743, son jeune élève s’empresse de le suivre. Bien que luttant en permanence contre la précarité, il trouve le temps et l’énergie d’apprendre les mathématiques auprès d’un réfugié polonais, Zamosz, et le latin lui est enseigné par un jeune médecin Juif. La plus importante partie de son érudition est cependant le fruit de ses inlassables efforts d’apprentissage autodidacte, au point de faire dire à Graetz « qu’il apprit en même temps l’alphabet et la philosophie ». À titre d’exemple, il put se procurer un exemplaire d’un Essai sur l’entendement humain de John Locke, et le maîtrisa à l’aide d’un dictionnaire latin. Il fit ensuite la connaissance d’Aaron Solomon Gumperz, qui lui enseigna les rudiments de français et d’anglais.

En 1750, il fut engagé comme précepteur par un riche négociant en soie nommé Isaac Bernhard. Celui-ci, impressionné par Mendelssohn   en fit rapidement son comptable en 1754, puis son associé en 1761. Après la mort de Bernhard, il reprit son affaire et dirigea activement la fabrique jusqu’à son propre décès.

L’année 1754 marqua un tournant dans sa vie, lorsqu’il fut présenté à Lessing (célèbre écrivain protestant adepte des Lumières). Le personnage de Mendelssohn   inspirera à Lessing celui de Nathan le Sage dans sa célèbre pièce du même nom.

C’est à Lessing que Mendelssohn   dut le début de sa notoriété publique et ses premières publications.

À partir de cette époque, l’aura de Mendelssohn   ne cessa de grandir et s’étendre.

Un mariage heureux

En 1762, il épousa Fromet Gugenheim, qui lui survivra 26 ans. Sa femme - qui était l’arrière- petite- fille du juif de cour autrichien Samuel Oppenheimer - lui donna dix enfants, dont six survécurent (trois fils et trois filles). Leur éducation fut confiée à des précepteurs qui les instruisaient dans les matières juives aussi bien que profanes. Mendelssohn   y prit part personnellement. La vie familiale restait juive tout en étant ouverte sur le monde, elle était organisée autour des fêtes juives et du salon que Mendelssohn   tenait tous les soirs. La famille allait au théâtre et certains enfants faisaient de la musique.

Consécration philosophique

L’année suivante, il remporta le prix offert par l’Académie de Berlin, en rédigeant un essai sur les applications des preuves mathématiques à la métaphysique. Parmi les différents postulants se trouvaient Thomas Abbt et Emmanuel Kant qu’il réussit à coiffer au poteau ! Il transcrivit, d’ailleurs, une correspondance avec le premier, « Phédon ou de l’immortalité de l’âme » en trois entretiens. Kant en fit mention dans la seconde éditions de sa Critique de la raison pure et reconnut l’importance de sa pensée et de son respect pour l’individu.

Juif et fier de l’être

En 1769, le philosophe et pasteur luthérien Johann Kaspar Lavater proposa à Mendelssohn   de se convertir au christianisme, ce dernier ayant fait preuve de tolérance et d’ouverture dans plusieurs de ses précédents écrits. La réplique de celui-ci fut sans équivoque dans une lettre qui préfigure son « Jérusalem ou pouvoir religieux et judaïsme ».
Mais l’affaire Lavater (1769 - 1770), au cours de laquelle Mendelssohn   est mis publiquement en demeure de justifier ses croyances ou de se convertir à la foi chrétienne, laissera des traces et le blessera profondément.

Le débat qui oppose Mendelssohn   à Lavater au sujet du statut du peuple juif, le déterminera probablement à s’engager sa vie durant, à la défense de l’émancipation des juifs. Cause dont il deviendra le symbole et la figure de proue ; sa personnalité et sa réputation, son érudition et sa capacité exceptionnelle à articuler sa vie sur deux mondes, entre tradition et foi, et mondanités et sciences profanes, Mendelssohn   a su donner aux philosophes des Lumières et aux hommes politiques de son époque (Mirabeau) les arguments rassurants en faveur de l’émancipation des juifs.

Sa réputation en fait très vite le porte-parole et le défenseur de ses coreligionnaires. Cette activité commencée vers la fin des années soixante aboutit à la publication d’un précis de droit juif à l’usage des tribunaux allemands « Ritualgesetze der Juden » en 1778, d’une introduction à une traduction d’un plaidoyer du XVII° siècle rédigé par le rabbin   d’Amsterdam Manassé Ben Israël pour la réadmission des juifs en Angleterre « Rettung der Juden » et à l’élaboration de son grand ouvrage : « Jérusalem, ou pouvoir religieux et judaïsme » (1783). Son activité philosophique se manifeste par la rédaction d’importants ouvrages tels que « Les Dialogues philosophiques » (1754) et « Lettres sur les sensations » (1755), la traduction de textes français et anglais, ses critiques régulières d’écrits de philosophie et d’esthétique contemporaine…

Dans tous ses écrits, il défend avec ardeur l’idée de tolérance religieuse. En bon adepte des Lumières, il considère que l’Etat ne doit pas s’occuper de choses religieuses. Il pense que le judaïsme représente le modèle de la religion tolérante et non dogmatique. Il rédige sa « Jérusalem » en démontrant que le religieux et le politique ne sauraient se mêler, s’instrumentaliser l’un l’autre. Ce sont deux ordres distincts qui se préoccupent l’un du spirituel, relevant de la sphère privée, alors que l’autre prend en charge le séculier, public. De ce fait, la conclusion à laquelle il aboutit est l’impossibilité pour le politique de favoriser une religion, ou d’en interdire.

Traducteur de la Bible

Déplorant le mauvais niveau de langue allemande de ses coreligionnaires, frein à leur émancipation ; il entreprend de traduire en allemand et de commenter certains passages de la Bible, commençant par une traduction des Psaumes, pour finir par celle du Pentateuque, accompagnée de commentaires écrits par lui-même ou par d’autres : « Le Livre des voies de la paix » (La traduction allemande fut imprimée en caractères hébreux car peu de juifs étaient alors à même de lire une autre écriture).

La Haskala  

Il est reconnu pour être le père de la Haskalah (le mouvement des Lumières propre au judaïsme).

Pour comprendre ce mouvement, il faut le ressituer dans l’histoire juive.

Pendant la majeure partie du Moyen Age, les juifs d’Europe avaient su concilier une conception équilibrée de leur propre patrimoine et une interaction bénéfique avec la culture environnante. On était alors encore avant l’âge du ghetto. Le judaïsme du moyen âge vécut des moments de grande intensité intellectuelle et de dialogue philosophique et religieux avec le reste de la société. C’était notamment le cas en Andalousie, mais également en Provence, en Italie et dans quelques autres endroits.

Au contraire, pendant la période baroque qui suivit la Réforme, le judaïsme européen qui avait vu sa situation politique se dégrader et la naissance des ghettos et des nombreuses mesures discriminatoires accompagnées régulièrement de massacres, s’était de plus en plus isolé dans l’univers casuistique talmudique et la Kabbale, aux dépens de l’étude de la Bible, de la philosophie juive et de la langue hébraïque, restant ainsi en marge des grands changements culturels du monde environnant.

Aussi bien qu’à l’époque de Mendelssohn  , les juifs étaient en total décalage avec le reste de la société en pleine ébullition. Ils étaient considérés par les autres comme un reste folklorique d’une culture sans avenir. Le danger était très grand de voir une jeunesse juive se retrouver devant une impasse : le ghetto ou la conversion. Il fallait absolument redonner des lettres de noblesse à un judaïsme dépassé par les changements du moment.

La Haskala   se donnait donc pour tâche, à l’origine, de revivifier le judaïsme baroque et d’y réintroduire ces traditions intellectuelles négligées qui favorisaient une compréhension rationnelle des textes juifs et encourageaient l’étude de la science et de la philosophie contemporaines. Quand elle émergea au grand jour dans le dernier tiers du 18e siècle, elle emprunta aux Lumières beaucoup de ses formes et de ses catégories, mais puisa son contenu dans la philosophie juive et l’exégèse biblique de la tradition andalouse médiévale.

Ce c’est ainsi que Mendelssohn   lui-même prôna la renaissance d’un bel hébreu et créa le premier journal de l’histoire dans cette langue : « hameassef ». Sans ce travail de pionnier, jamais l’hébreu ne serait redevenu une langue vivante vers la fin du 19e siècle.

Dans son approche souple du judaïsme, Mendelssohn   subordonnait la philosophie à la piété et à l’observance des commandements, il refusait un idéal d’éducation contemplatif qui encouragerait la recherche de vérités ultimes ou de connaissances secrètes. En niant la possibilité d’une science complète du divin, et en limitant par là même la portée du savoir humain, il posait des limites au rationalisme, sans rejeter toutefois le rationalisme lui-même. Il visait plutôt à créer un rationalisme piétiste ou pratique consacré à l’éthique et à l’observance au moyen d’un vaste programme d’études qui « embrassait plusieurs disciplines différentes s’enrichissant mutuellement sans que l’une domine entièrement, ou réduise les autres à la portion congrue », la philosophie et l’exégèse biblique, la langue hébraïque et la littérature rabbinique.

Comprendre Mendelssohn   comme un homme des Lumières religieuses éclaire la complexité de son rapport à la culture générale. Pour Mendelssohn  , l’Aufklärung n’était pas un produit fini qu’il s’est contenté d’adopter. Il a pris part à son développement et en a créé une version sélective qu’il a appliqué au judaïsme de façon cohérente…

Sa conception du judaïsme situe Mendelssohn   dans la tradition « andalouse ». Malgré toutes les apparences, il n’a pas adopté la pensée de Maïmonide  . Certes, il en connaît l’œuvre à fond et y puise largement, mais il en diverge sur des points essentiels. Il pose des limites plus grandes au savoir abstrait et n’aspire pas à une théologie spéculative qui inclurait une justification systématique des croyances du judaïsme ou une rationalisation complète de ses lois. Sa compréhension du judaïsme est largement inspirée de Juda Halévi, ses commentaires doivent beaucoup à Nahmanide  , Ibn Ezra et autres exégètes « littéralistes ». Les Lumières religieuses représentent donc une sorte de juste milieu. La version de Mendelssohn   apparaît comme un moyen terme entre la casuistique et la Kabbale du judaïsme baroque d’une part, et le rationalisme spéculatif de Maïmonide   de l’autre.

Le but a été très clair : permettre aux juifs de faire leur entrée dans la société européenne en pleine effervescence tout en restant juifs, de religion comme de culture. Redonner un véritable statut social et culturel au judaïsme susceptible d’être reconnu par tous.

La controverse actuelle

Il est devenu courant, dans certains milieux juifs, de tirer à boulets rouges sur la figure de Mendelssohn  , vu comme un précurseur de l’assimilation.

Non seulement cela est injuste, mais c’est historiquement anachronique. Mendelssohn   a tout fait au contraire pour essayer de créer les conditions d’une intégration et non d’une assimilation.
On entend souvent l’argument de son devenir familiale, sachant que la plupart de ses enfants ou petits-enfants étaient officiellement convertis au christianisme (dont le très célèbre compositeur du même nom). Cela n’a jamais été le désir de Mendelssohn   lui-même, bien au contraire. Cela montre seulement qu’il avait 100 ans d’avance sur son temps et que la société de l’époque n’a pas été capable d’écouter son message.

Ensuite, il existe plusieurs figures rabbiniques célèbres dont les enfants ou les petits-enfants ont eu une destinée contraire aux vœux de leurs aïeux… On ne juge pas un penseur aussi colossal sur la religion de ses petits-enfants. Le procès que les juifs lui font parfois, est souvent une expression réductrice de la crainte viscérale de la disparition de l’essence même du judaïsme par l’assimilation ; une menace insupportable pour tous les Juifs.

Moïse Mendelssohn   incarna sans nul doute l’archétype du « Juif acceptable » par la société occidentale et chrétienne, celui qui servit à la fois de modèle respecté par la société du 18e siècle et d’exemple à ses pairs. Ses idées ont modelé le juif moderne et émancipé. S’ouvrir au monde environnant, jouir de l’égalité des droits, faire l’apprentissage des sciences profanes, n’étaient pas des indications à perdre ni sa foi, ni son identité, ni ses traditions ; elles mettent l’individu face à son libre arbitre d’une part, mais aussi elles l’appellent à se renforcer intérieurement pour mieux résister aux menaces de dilution. En d’autres temps, Moïse Maïmonide   en avait fait l’expérience et tout le judaïsme andalous avec lui. Entrer dans la société et maintenir sa fidélité à la Loi mosaïque sera pour les Juifs, le grand défi de la modernité.

Qu’on le veuille ou non, à l’heure où tout juif dans le monde se trouve être citoyen émancipé du pays où il réside, à l’heure où les juifs ont osé créer un Etat moderne et démocratique basé sur les idéaux de la raison, tout juif se retrouve l’héritier de Mendelssohn  .

Les orthodoxes   qui lui vouent un injuste mépris oublient un peu vite ce qu’ils lui doivent dans leur vie quotidienne et leur liberté. Le rabbin   Samson Raphaël Hirsh (1808-1888) en fit le portrait du juif idéal : « Un juif éclairé qui observerait la loi juive orthodoxe   ».

L’héritage de Moïse Mendelssohn   est au contraire, celui d’un homme qui a éclairé le chemin de l’émancipation tout en restant farouchement fidèle à ses convictions religieuses. Il demeure un exemple à l’heure où sonne un certain appel au repli sur soi ! Se préserver certes, mais dans la société libre en faisant sien les idéaux d’humanisme du mouvement des Lumières.

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