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Commentaires sur la parasha Ki Tissa

Commentaires sur la parasha Ki Tissa

La faute du veau d’or -

Le célèbre épisode du veau d’or...

La Tora comme idole ?...

L’épisode est célèbre. Le peuple juif se retrouve seul au pied du mont Sinaï alors que son guide Moïse tarde à redescendre.

Ne supportant plus cette absence, le peuple juif demande à Aaron de lui fabriquer une divinité. On rassemble de l’or avec lequel on fabrique une forme de veau.
Qu’est-ce que cet épisode vient nous apprendre aujourd’hui ?

Présence/ absence : au moment de la révélation du Sinaï le peuple délégua Moïse par peur du contact direct avec la parole de Dieu. La présence divine fait peur. L’idéal aurait voulu que tout le monde soit prophète, soit capable d’entendre le silence et de le décrypter. Le peuple préféra le principe du chef et de la délégation. Maintenant que le chef est absent, le peuple s’affole, confronté au silence. Cela montre une faiblesse du peuple incapable de s’assumer seul.

Dans notre histoire l’idole vient remplacer le chef. Chez d’autres, c’est le chef qui vient remplacer l’idole. Dans tous les cas, c’est une catastrophe.
En hébreu, veau se dit « Eguel » qui est la même racine que « Agol » - « rond ».

Ce n’est donc pas tant un veau, qu’un cercle qui fut fabriqué. Les hébreux se mirent à danser autour du veau, donc autour du cercle. Cercle sur cercle – fermeture absolue, mais également harmonie illusoire.

La Tora est avant tout liberté. « Liberté sur les tables de la Loi » disent les rabbins  . Le Dieu des juifs est celui qui fait sortir d’Égypte, de l’esclavage, de la soumission.

C’est autant de la liberté que de l’absence de Moïse dont les juifs ont eu peur. En tournant en rond autour du cercle, non seulement ils ont l’illusion de combler un vide, celui de l’absence de Moïse comme de l’absence de Dieu par définition inaccessible ; mais encore ils se rassurent en croyant qu’ils sont tous pareils. C’est dans l’illusion de l’homogénéité que la liberté s’estompe.

La réaction de Moïse sera de briser les tables de la loi, sorte de matérialisation de la présence divine et donc de possibilité d’idolâtrie de la lettre et de la Loi. D’après un Midrash  , Dieu lui en fut reconnaissant.

De nos jours également on aime avoir un chef, on aime être tous pareils, on déteste les idées originales et la différence.

C’est vrai dans la société laïque. Et c’est vrai également hélas parmi les juifs pieux.

Nombreux parmi eux se sont mis à penser de façon identique. On a souvent fait de la Tora un dogme autour duquel on tourne en rond. On s’est donné des chefs en la personne de rabbins   plus ou moins charismatiques, voire « miraculeux ». On a même inventé l’infaillibilité rabbinique sur le modèle de l’infaillibilité papale ! On déteste toute contestation d’un système qui s’est mis à tourner en rond sur lui-même. On ne jure plus que par le tampon « kasher   » de l’autorité rabbinique la plus stricte. On en est même arrivé à se créer un uniforme et à s’habiller tous pareils, en noir et blanc, sans nuances et sans couleurs.

Certes, on ne fait pas de statues, mais on a fait quelquefois du texte lui-même une idole. On refuse de prendre du recul par rapport à celui –ci. On le prend au pied de la lettre et on le voudrait vérité scientifique incontestable. Le judaïsme, qui est capable d’être si inventif, si créatif, qui constitue un véritable espace de liberté de l’esprit, est trop souvent devenu une ronde monotone, une répétition de mantras et de slogans idéologiques. La Tora est devenue un cercle idéologique bien confortable et rassurant.

Pire encore, on a peur de l’absence. On voudrait que Dieu soit omniprésent dans nos vies, on refuse son absence et son éloignement ontologiques, que Moïse avait si bien compris. « Un humain ne saurait voir Sa face et vivre ».

D’un côté, on observe un monde matérialiste, égoïste et simpliste, pour lequel toute religion se résume à un discours stupide et des croyances surannées et on refuse de s’intéresser à une divinité silencieuse et impalpable, à un discours sans cesse en construction. Face aux religieux on répond : « Prouvez le ! ». On reste imperméable à l’écoute du silence.

De l’autre côté, ont fait du judaïsme une religion bruyante, qui aurait réponse à tout, saurait tout, prévoirait tout. On fait de la Tora un système de code informatique. On prend le texte pour une formule d’Adn. On cherche à expliquer les pires souffrances humaines et à justifier n’importe quelle injustice, parce qu’il faudrait que la Tora ait forcément réponse à tout. L’idée qu’on se fait de Dieu correspond à un moule et l’on voudrait que chaque aspect de la réalité corresponde à ce moule.

Dieu qui a toujours été une question s’est transformé en réponse. On n’a pas osé encore lui octroyer une tête de veau, ce serait culturellement infaisable, mais virtuellement, il en a parfois acquis plus ou moins les caractéristiques.

Dès que la moindre personne ose émettre une critique, exprimer une idée nouvelle, on crie au blasphème ! Le cercle est bien tenu, le judaïsme tourne en rond sur lui-même, dans une danse de bigoterie et de conformisme. Le Rabbinat institutionnalisé, maître de cérémonie de cette ronde décadente, veille scrupuleusement à ce que rien ne dépasse dans cette harmonie illusoire.

Moïse a eut le courage de briser les tables et réduire le veau en poudre, nous devons aujourd’hui parvenir à briser le cercle vicieux du matérialisme et de l’égoïsme mais également celui d’un Judaïsme doctrinaire et circulaire.

Briser l’idole qui nous étouffe.

Alors pourra-t-on peut-être se réclamer vraiment des lettres de la Tora, non de la lettre, mais des lettres qui s’envolent, comme le dit le Midrash  , des lettres en suspension, en liberté.

Yeshaya Dalsace

Médiation et transcendance,

Quand le drapeau remplace la méditation.

Moïse tarde à descendre du Sinaï. Et le peuple ne supporte pas cette absence du Maître.

Il lui faut un dirigeant tout de suite, sous peine de se liquéfier, et de perdre toute consistance. Il n’y a rien de pire en effet pour une nation que la vacance du pouvoir. Elle est tout simplement terrifiante, car elle risque de voir le peuple se dissoudre dans une anarchie complète, sans plus d’orientation structurante, ordonnante et pacifiante.

Le peuple se tourne alors vers Aharon, le frère de Moïse, non pour lui demander une idole, mais pour lui demander des dirigeants qui remplaceraient Moïse. Le mot « dieux » utilisé par le peuple signifie en effet dans certains cas (Exode 22, 8) les juges, c’est-à-dire ceux qui ont la capacité de structurer et d’orienter la conduite du peuple (cf. la lecture d’Abraham ibn Ezra). C’est pourquoi la demande du peuple est ainsi formulée à Aharon : « Lève toi, fais-nous des « dirigeants » (Elohim) qui marchent devant nous, car cet homme – Moïse – qui nous a fait monter de la terre d’Egypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé » (Exode 32,1).

Et Aharon s’exécute, car rien dans cette demande ne semble illégitime – et tout laisse à penser que, comme le suggère le peuple, Moïse est mort, après quarante jours passés sur la montagne sans manger ni boire ! Il faut donc un nouveau dirigeant, et ce sera un veau d’or…

Jusqu’ici, rien de répréhensible : car si l’acte d’Aharon avait abouti immédiatement à la création d’une idole, il aurait mérité la peine de mort, et sûrement pas de devenir le premier grand-prêtre de l’histoire d’Israël !

Le veau d’or n’est donc pas a priori une idole. Il est comme une constitution ou un drapeau : ce en quoi un peuple reconnaît son unité et qui lui permet d’envisager un avenir viable, parce qu’il lui rappelle ce qu’il vise : la Transcendance.

C’est ce qui permettra à Aharon de dire après la fabrication du veau d’or : « Fête pour la Transcendance demain ! » (Exode 32, 5). Ce veau n’empêche donc pas ipso facto le service de la Transcendance…

Où est donc la faute ? Car faute il y a, et elle va être durement réprimée dans la suite (Exode 32,28).

La faute n’est pas d’instaurer une médiation entre le peuple et la Transcendance pour qu’il puisse retrouver un principe organisateur et directeur.

Non. La faute tient dans l’ambiguïté de cette médiation, qui ouvre la possibilité d’une méprise, c’est-à-dire de l’idolâtrie. Et c’est là une des grandes leçons de ce texte : la médiation, aussi juste et justifiée qu’elle paraisse dans son intention, risque toujours d’être mal comprise et de virer à l’idolâtrie, c’est-à-dire de se voir divinisée. Voilà pourquoi nous ne sommes jamais sortis de cette tentation, et voilà pourquoi on a fait porter la responsabilité de la fabrication de ce qui deviendra une idole à Aharon le prêtre ! Tout le travail du prêtre – et de la religion – se construit au creux de cette tentation, et doit sans cesse lutter contre elle pour viser la sainteté.

Quelle est donc la faute ? Au moment où une partie du peuple (3000 personnes) se mettent à dire : « Voici tes dirigeants (dieux) Israël qui t’ont fait monter de la terre d’Egypte » (Exode 32,4). Le peuple pense apparemment que la force qui a fait agir Moïse lors de la sortie d’Egypte, est désormais présente dans le veau d’or, et remplace complètement la médiation de Moïse : un nouveau Moïse remplace l’ancien, avec une nouvelle loi !

Oui mais voilà : Moïse de son vivant – et même dans sa mort – n’a jamais accepté cette divinisation de la médiation dont il aurait pu faire l’objet. Il a toujours protesté et rendu à la Transcendance ce qui lui revenait : sa transcendance…

C’est pourquoi la médiation de Moïse suppose une grande part d’absence (40 jours !) pour pouvoir se réaliser. Ce n’est pas le cas du veau d’or qui se laisse diviniser sans broncher – en ruminant peut-être…

C’est pourquoi le principe de la médiation doit rester humain, et donc mortel, pour ne jamais être divinisé.

La médiation religieuse est là pour témoigner d’une Transcendance qui la dépasse et qu’elle ne contient pas, malgré le clinquant de son or et l’évidence de sa présence. Elle renvoie à un Autre qu’elle-même, à un appel éthique qui résonne en elle mais qui la dépasse de l’infini de son appel.

C’est parce que le peuple n’a pas été capable d’affronter l’ambiguïté de cette médiation par l’absence, que les prêtres vont se voir chargés à sa place du gardiennage de cette délicate médiation vers l’Infini et vers son appel.

Yedidiah Robberechts

Attention médiation !

Lorsqu’après quarante jours passés au Sinaï, Moïse en redescend, il porte les deux tables du témoignage que la Transcendance lui a offertes. Or dit le texte, « les tables sont l’œuvre de Dieu et l’écriture est une écriture divine, gravée sur les tables » (Exode 32,16). Autrement dit, ces tables sont doublement divines : leur matière est œuvre divine, et l’écriture elle-même n’est pas celle de Moïse, mais celle de Dieu en personne. On ne peut imaginer objet plus exceptionnel et plus précieux ! Voilà un bien unique dans l’histoire de l’humain, qui doit faire l’objet de la plus vive attention et du plus grand respect !

Or que fait Moïse en découvrant les enfants d’Israël en train d’adorer le veau d’or ? Il n’hésite pas une seconde : il prend ces tables divines, données par la Transcendance elle-même, les jette par terre et les casse (Exode 32,19) ! On se demande quelle folie a soudain pris Moïse – ou quelle fureur – pour qu’il réduise ainsi à néant la preuve de l’existence divine – un objet véritablement divin enfin à notre disposition !

Surtout lorsque l’on sait que ces tables seront définitivement perdues, puisque lorsque Dieu demandera à Moïse de remonter pour recevoir de nouvelles tables, ce sera Moïse lui-même qui devra confectionner ces tables – faites de main d’homme celles-là – et que seule l’écriture y sera divine : « La Transcendance dit à Moïse : taille pour toi deux tables de pierre comme les premières et j’écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as cassées » (Exode 34,1). Quelque chose fut donc irrémédiablement perdu par ce qui semble être un geste inconsidéré de Moïse : ne pouvait-il pas tout simplement poser ces tables et passer sa colère sur autre chose – sur le veau d’or par exemple ? Cela nous aurait permis de préserver ces tables exceptionnelles…

Or la fin du verset que l’on vient de citer nous apprend autre chose. En effet, Dieu dit : « sur les premières tables que tu as cassées ». Il n’était pas nécessaire de rappeler ce que tout le monde sait - parce qu’on l’a déjà dit auparavant – à savoir que ces premières tables ont été cassées ! Cet acte fut assez important pour que tout le monde s’en souvienne ! Dieu aurait donc dû se contenter de dire : « j’écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables », et tout le monde aurait compris. S’il a ajouté : « que tu as cassées », c’est qu’il voulait faire entendre autre chose. Comme dit le Talmud   (TB Baba Batra 14b) : « La Transcendance a dit : bravo Moïse d’avoir cassé les tables ! »

Dieu affirme ainsi lui-même que Moïse a bien fait en cassant les premières tables, et que c’est ce qu’il fallait faire dans une telle situation. Pourquoi cet assentiment divin à un geste qui semble de prime abord avoir cassé le divin – ou comme d’autres l’ont dit, l’avoir tué ? A cause de l’idolâtrie. C’est dans la proximité au divin – là où je crois que je puis toucher le divin et donc m’en emparer dans l’évidence d’une préhension – qu’il faut accepter de le perdre et de le casser pour qu’il ne devienne pas cause d’idolâtrie. Car le divin est ce qui par excellence peut empêcher l’accès à la Transcendance et à son appel. Et c’est précisément lorsque je pense qu’un texte est divin que je risque de l’idolâtrer - et donc de le fermer sur un sens fini et définitif qui trahit l’appel infini qui en est la source. Il faut alors le briser pour l’ouvrir ainsi à nouveau à l’appel de la Transcendance qui ne doit cesser d’y résonner en le faisant éclater vers un ailleurs qu’il ne peut contenir. Une écriture – fût-elle divine – est un signe qui renvoie à un plus dont elle ne peut que témoigner sans jamais le contenir.

Moïse est bien ce médiateur incomparable qui nous apprend à nous méfier de toute médiation – fût-elle divine. Il est ce religieux qui nous enseigne à nous méfier de toute religion. Il est cet enseignant incomparable qui nous apprend à nous méfier de tout enseignant… On ne peut que rire d’une telle leçon, car je ne peux l’entendre que si je la prends au sérieux (c’est un enseignement), mais je ne peux la prendre au sérieux que si j’en ris (il faut se méfier de tout enseignement). L’humour serait-il ce qui nous délivre du divin et de sa tentation idolâtrique, pour nous ouvrir à l’appel de la Transcendance qui n’en a jamais fini de résonner dans les soubresauts physiques de notre existence ?

Yedidiah Robberechts

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