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Animer la synagogue

Animer la synagogue

Voici un billet du Chancelier Arnold Eisen sur l’ambiance à la synagogue qui concerne peut-être plus les synagogues ashkénazes anglo-saxonnes que nos bonnes synagogues françaises autrement animées... Mais le conseil est judicieux.

Le président et directeur général de l’Orchestre Philharmonique de Brooklyn a suscité une tempête de protestations dans le monde de la musique classique, au printemps, en suggérant que les salles de concerts pourraient gagner à ce que le public pratique moins les bonnes manières, et davantage les applaudissements, rires, bravos, et autres manifestations d’émotion. Ne restez pas assis aussi tranquillement pendant une symphonie, a exhorté Richard Dare. Les concerts de musique classique ont besoin d’être plus vivants, moins calmes, moins ennuyeux, et les spectateurs peuvent contribuer à ce que cela se produise.

L’idée a horrifié certains musiciens et responsables d’orchestre. Si les gens ne sont pas capables « de rester assis tranquillement et d’être silencieux » a déclaré Robert Spano, le directeur musical de l’Orchestre Symphonique d’Atlanta, « je ne crois pas que la musique classique soit faite pour eux. » Dare a précisé sa position au cours d’articles ultérieurs, mais il ne s’est pas rétracté. « Je ne veux pas qu’un chahut éclate », a-t-il affirmé au journaliste Daniel J. Wakin pour un article au sujet de la controverse, publié le 8 juin dans le New York Times. « Je suis profondément attentif à ne pas mettre en pièces l’expérience qui est la nôtre actuellement », a-t-il expliqué. Mais il veut, fermement, rendre cette expérience « adaptée à plus de gens. »

Je le rejoins tout à fait. Si vous substituez « synagogue » à « salle de concert » et « services de prières » à « concerts d’orchestre », vous vous rendez compte que le projet de Dare correspond – trait pour trait, et douloureusement – à l’expérience qui est celle de nombreux Juifs dans de tout aussi nombreuses synagogues d’Amérique du Nord. Puisque plusieurs millions de Juifs sont sur le point de passer un grand laps de temps à la synagogue – les Jours Redoutables sont presque là, eux qui seront suivis immédiatement par Sukkot, Shemini Atzeret et Simchat Torah – je pense qu’il y a une bonne raison pour demander si quelque chose pourrait ou devrait être fait afin de modifier l’ambiance dans une schul de la manière dont Dare veut la changer dans les salles de concert. Je vote oui pour deux raisons principales.

Un : Les leaders religieux juifs ont désespérément besoin de rendre l’expérience de la prière communautaire plus adaptée à beaucoup plus de gens. La fréquentation des offices a chuté régulièrement depuis des décennies – surpassant, je suppose, même la baisse des abonnements aux concerts. D’un autre côté, de nombreuses synagogues remportent un vif succès. Des offices plus vivants ont immanquablement conduit à une fréquentation accrue. Une nouvelle et meilleure musique s’est révélée particulièrement décisive pour susciter une nouvelle stimulation dans de nombreuses communautés. Les offices auxquels l’assistance prend une part active sont plus appréciés que les offices dans lesquels la communauté reste assise en silence la plupart du temps, regardant le rabbin   et le hazzan célébrer la liturgie en haut sur la bimah.

Deux : La Tefillah n’a jamais été censée être un sport que l’on pratique uniquement en spectateur, et par nature est tout l’opposé d’une activité passive dépourvue d’émotion. Nous parlons de la tentative de se tenir devant Dieu, après tout, de quelque façon que l’on se représente Dieu. Cela n’a jamais été une chose facile à faire – consultez les écrits des virtuoses religieux tout au long des siècles – et n’est certainement pas une affaire de routine pour des Juifs modernes sur les bancs de la synagogue. Il n’est pas non plus facile de se tenir devant soi-même. Le verbe « prier » en hébreu est réfléchi. Prier, c’est mettre à nu et affronter ses propres abîmes, poser des questions difficiles et tenter d’y répondre, peser la signification des enseignements de Dieu pour notre existence. Le procédé peut être exaltant, dérangeant, ou les deux. Les tefillot que nous prononçons sont censées nous émouvoir. Parfois, le mouvement interne trouve une occasion de s’exprimer dans le mouvement du corps – nous nous inclinons, dansons, nous balançons, ou défilons autour de la synagogue. À d’autres moments, nous gardons contenu ce qui est à l’intérieur, car nous ne voulons pas révéler notre trouble.

Et quelquefois, je le crains, l’interdiction de manifester trop d’émotion à la synagogue – rire fort, ou pousser un cri, remuer très souvent nos pieds, se lever puis aller et venir – empêche réellement de ressentir les sentiments que les prières sont conçues pour mettre au jour et exprimer. Cela inclut gratitude, anxiété, besoin, colère, désir, contentement, émerveillement, et amour. La liste n’est pas exhaustive. Mais elle suggère le terrain sur lequel la tefillah se place – un terrain qui ne se prête guère aux bonnes manières formelles. En certaines occasions, la liturgie nous enjoint explicitement de « chanter un chant nouveau pour le Seigneur », au sens propre et figuré. Lorsque nous disons les psaumes de louanges appelés Hallel   lors des nouvelles lunes et des fêtes, nous essayons de produire un son joyeux pour le Seigneur. Je pense que nos offices gagneraient à d’autres expressions d’émotion, communautaires aussi bien que personnelles : cris d’affliction ou de désespoir, expressions de crainte respectueuse devant les merveilles de la création, battements de mains accompagnant le tonnerre de Dieu. Le silence est quelquefois le meilleur canal à travers lequel nous faisons venir le courage d’affronter la vie ou la mort, mais pas toujours. L’essentiel est d’être pleinement présent devant nous-mêmes, les autres, et Dieu. Le bruit peut aider.

Il est parlant, je pense, qu’avant de réciter la soi-disant « silencieuse » Amidah, nous disions : « Ouvre ma bouche, Seigneur, et mes lèvres proclameront tes louanges. » Pour des Juifs en prière, « silence » signifie lèvres en mouvement, bouche ouverte plutôt que fermée. Soyons clair : bavardage et conversation oiseuse pendant la Amidah sont réprouvés à juste titre. Ce sont des distractions nuisibles. Il est difficile de se concentrer sur la tâche de la rencontre lorsque les gens devant vous sont en train de discuter de leurs gosses ou des élections. Il en va de même lorsque le rabbin   est en train de prêcher, lorsque la Torah est psalmodiée, ou lorsque le hazzan s’efforce de maintenir un haut niveau d’intentionnalité (kavanah) en chantant bien les notes. Mais, comme vous le savez si vous en avez fait l’expérience, la prière silencieuse trouve une aide éminente dans les murmures de prière tout autour de vous, dans l’explosion, de temps à autre, d’un mot ou d’une expression qui frappe une autre personne avec une force particulière alors qu’elle ou il prie, ou dans le fredonnement des mélodies qui vont avec certains passages de la liturgie. Les cris d’enfants sont souvent un accompagnement bienvenu au son du shofar durant les Jours Redoutables. Des cris de joie ou de souffrance s’ajoutent également comme de précieuses ponctuations.

Lorsque les Juifs ont eu accès pour la première fois au monde social, culturel et politique de l’Europe de l’Ouest moderne au 19ème siècle, nous avons pris de la peine pour modeler nos conceptions de ce qui devrait se produire dans une synagogue sur les critères esthétiques des Églises protestantes. Architecture, musique, style des sermons, langue de la prière, et – par-dessus tout – bonnes manières furent transformés. Les synagogues ne furent plus des lieux où manifester son émotion, non plus que les salles de concerts ou les musées. Les mouvements spirituels eurent lieu à l’intérieur du moi, et furent censés demeurer là.

Il y a encore place pour cette esthétique, je pense. Je ne voudrais pas perdre les instants où la communauté prête attention calmement tandis que la Torah est psalmodiée, ou écoute attentivement un sermon ou un enseignement, ou se laisse transporter par les prières du hazzan. Il y a des moments pour se lever tous ensemble et s’asseoir tous ensemble, pour faire trois pas en arrière ou en avant du même pas que ceux qui vous entourent, pour dire les noms d’amis ou de membres de sa famille en quête de guérison devant une communauté silencieuse et, avec reconnaissance, répondre ensuite aux questions concernant leur état de santé.

Mais ne perdons pas le juste équilibre entre calme et bruit, réceptivité et participation. Le rabbin   vous pardonnera de parler à la personne à côté de vous si le but est de vous informer, d’offrir de l’aide, de prendre des nouvelles. Le hazzan ne se contentera pas de vous pardonner, mais vous remerciera de chanter ou de fredonner, remplissant ainsi le lieu saint du murmure collectif du « davening » durant la prière silencieuse, ou ajoutant au sentiment de vie et de mouvement dans la synagogue. Le chant du Kol Nidré n’est pas censé être un solo d’opéra exécuté devant une multitude silencieuse ; le rythme de Yom Kippour est marqué autant par la communauté qui psalmodie et se frappe la poitrine (et verse des larmes) qu’il l’est par la progression d’office en office, de confession en confession. Et si vous êtes assez chanceux pour faire partie d’une communauté qui est venue ensemble au Kol Nidré, qui a médité et chanté, s’est assise et s’est tenue debout, a jeûné et s’est balancée ensemble tout du long jusqu’à la Ne’ilah, vous pouvez vous attendre à ce que chanter à l’unisson le Avinu Malkeinu final – quand l’obscurité tombe, les « portes de la repentance » se ferment, et la fin du jeûne approche – soit une expérience de prière dont vous vous souviendrez longtemps.

J’échangerais le silence des bonnes manières contre plus de bruit à la synagogue en tout temps, et particulièrement pendant les Jours Redoutables. Mettons notre cœur dans notre prière, et fortifions-nous mutuellement par notre chant.

Arnold Eisen

Chancelier du Jewish Theological Seminary (JTS  ) de New York.

(Traduction C. Leblond)

Messages

Animer la synagogue

Malheureusement, les synagogues ashkénazes anglo-saxonnes ne sont pas les seules concernées... Dans certaines synagogues ashkénazes du consistoire   (La victoire...), massortis (Adath Shalom  ...) ou libérales (Pauline Bebe, MJLF...) en France, si vous avez le malheur de chanter le mauvais air, de lire à voix hautes les passages pour lesquels il est pourtant bien indiqué dans le sidour   "l’assemblée à voix basse" et plus généralement que vous n’avez pas l’air de prier comme tout le monde vous risquez fort bien d’être regardé de travers même si ce que vous faites est totalement fondé halakhiquement. Et shabbat après shabbat vous voyez ce même rituel comme immuable, tout le monde fait silence au mêmes moments et commence à chanter (ou prier ?) à partir des mêmes phrases. Presque un spectacle. Une routine telle que beaucoup de fidèles sont complètement perdus si on les change de syna ou qu’on les mets dans un office de semaine ! A moins que comme on le fait à Adath on reprenne les airs spécifiques au shabbat et qu’on supprime les passages spécifiques à la semaine (ta’hanounim...) pour que l’office du jeudi matin soit plus "accessible".

Bien sûr je ne généralise pas au monde ashkénaze très pluriel et dans lequel on a de tout !! Mais j’aimerais que certains responsables de communautés se rendent compte qu’à vouloir imposer leur rite absolument, ils se privent de certaines catégories de fidèles qui ne sont pourtant pas les moins motivés !

Animer la synagogue

Ce que vous décrivez est bien dommage et ce n’est pas le cas dans ma synagogue (DorVador Paris 20e) qui mélange les rites (ashkénaze et sefarade) très participative et plus joyeuse... Si ce n’était pas le cas, je me ferais un malin plaisir de casser un peu la glace...

Yeshaya Dalsace

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