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Euthanasie et judaïsme

Euthanasie et judaïsme

De plus en plus, on se retrouve confronté à des cas extrêmes dans lesquels la question d’une éventuelle euthanasie se pose.

Le judaïsme a priori est contre, il respecte infiniment la vie. Mais à quel prix et jusqu’où ?

Une conférence de Yeshaya Dalsace à voir sur Akadem ou à écouter ici

http://massorti.com/son/cours/eutha...

On ne peut répondre à une question pareille en rejetant d’un revers de main le débat. Ce débat nous fait peur et soulève en nous un tabou terrible, celui du meurtre au nom de l’amour.

Le judaïsme interdit le meurtre. Le judaïsme pense que chaque heure de vie a une valeur plus forte que tout. Mais le judaïsme ne fait pas l’éloge d’une immense souffrance ou d’une vie qui aurait perdue tout sens.

Si on se penche sur nos textes, on constate que la question est plus complexe qu’il ne le semble au premier regard.

Textes de référence

Adam a été créé unique, pour t’apprendre que tout celui qui détruit la vie d’une seule personne, l’Ecriture considère qu’il a anéanti un monde entier et tout celui qui rétablit la vie d’une seule personne, l’Ecriture considère qu’il rétablit un monde entier ; et pour la paix entre les créatures, pour qu’un homme ne dise pas à son voisin : mon père était plus grand que le tien ; et pour que les idolâtres n’affirment pas qu’il
existe plusieurs divinités ! Et pour raconter la grandeur du Saint, béni soit-Il : car lorsqu’un homme frappe des pièces de monnaie avec un moule, c’est toujours la même pièce qui apparaît, par contre lorsque le Saint, béni soit-Il, façonne les hommes avec le moule d’Adam, chaque créature est différente de l’autre.

Sanhedrin 37a

Le jour de la mort de Rabbi, les rabbins   décrétèrent un jeûne et demandèrent miséricorde.

Ils ont dit : tout celui qui dit "Rabbi est décédé" sera transpercé par l’épée.

La servante de Rabbi (c’est-à-dire l’infirmière, celle qui connaît son intimité) est montée sur le toit et à dit : "En-Haut (les anges) on demande Rabbi, et En-Bas (les hommes) on demande Rabbi, que la volonté de Dieu exauce l’En-Bas contre l’En-Haut."

Comme elle voyait combien de fois Rabbi allait aux toilettes (il souffrait des intestins) : à chaque fois il enlevait et remettait ses Tefilines   (on ne peut les garder aux toilettes) et il en souffrait (de ne plus pouvoir accomplir le commandement de mettre les Tefilines  ), elle a donc
dit : "Que la volonté de Dieu exauce l’En-Haut contre l’En-Bas".

Mais les rabbins   ne s’arrêtaient pas de prier et demander miséricorde (ce qui avait pour effet de maintenir Rabbi en vie), elle prit un vase et le jeta du toit vers le sol, les rabbins   se sont tus (à cause du bruit) dans leurs prières et Rabbi est décédé.

Ketoubot 104a


Les Romains trouvèrent rabbi Hanania ben Tradion en train de s’adonner à l’étude de la Tora, rassemblant des foules nombreuses, tandis qu’il portait un rouleau de la Tora sur son sein.

Ils se saisirent de lui, l’enveloppèrent dans les rouleaux, l’entourèrent de fagots et les enflammèrent. Ils avaient placé contre son coeur des touffes de laine humide pour que sa mort soit moins rapide. "Père", lui dit sa fille, comment supporter de te voir ainsi (torturé) ?!"

Rabbi Hanania lui répondit : "Si on m’avait brûlé seul, la chose m’eût été insupportable, mais puisque je meurs en compagnie de la torah, Celui qui demande des comptes pour l’offense faite à la torah en demandera également pour l’offense qui m’est faite."

Ses disciples (présents) lui demandèrent à leur tour : "Rabbi, que vois-tu ?" Il leur répondit : "Je vois que les pages brûlent tandis que les lettres s’envolent. Ils reprirent "Alors, toi aussi, ouvre la bouche et que le feu y pénètre (et que ton âme s’envole plus rapidement)."

Mais il leur répondit : "Il est préférable que ce soit Celui qui m’a donné mon âme qui la reprenne et non que je sois la cause de ma propre destruction."

Le bourreau intervint et dit : "Rabbi, si j’augmente les flammes et retire les touffes de laine posées sur ton cœur, est-ce que tu me conduiras au monde futur ?"

Il lui répondit : "-Oui."

"-Jure-le-moi."

"-Je te le jure."

Aussitôt, le bourreau augmenta les flammes, retira les touffes de laine posées sur le coeur de R. Hanania, de sorte que son âme sortit rapidement.

Le bourreau se jeta à son tour dans le feu.

Une voix céleste se fit alors entendre proclamant : "Hanania ben Tradion et son bourreau sont conviés pour le monde à venir."

À ce propos, Rabbi a dit en pleurant : "Dire que l’un gagne son monde en un seul instant, tandis que l’autre ne le gagne qu’après de nombreuses années !".

Talmud   de Babylone traité Avoda zara 18a

Le jour de la mort de Rabbi, une voix céleste proclama : "tout personne présente à l’enterrement aura part au monde futur".

Un blanchisseur venait chaque jour chez Rabbi, ce jour-là il ne vint pas, quand il apprit la nouvelle, il monta sur le toit et se jeta dans le vide et
mourut.

Une voix céleste décréta qu’il avait part au monde futur.


Ketouvot 103b

R. Rava bar Abouha interprète le verset "Tu aimeras ton prochain comme toi-même" (Lv 19:18), comme : ‘‘choisis-lui une belle mort’’

Sanhédrin 52b

Les Sages   ont enseignés : trois personnes leur vie n’est pas une vie : celui qui est tributaire de la table de son ami, celui qui est gouverné par sa femme et celui dont le corps est soumis à des souffrances. Il y en a qui ajoutent : même celui qui n’a qu’un habit.

Betsa 32b

Liens sur cette question

Législation en Europe et dans le monde

http://www.senat.fr/lc/lc49/lc49.html

euthanasie

Messages

Euthanasie et judaïsme

Je pense qu’une des innovations du judaïsme est la reconnaissance de l’autre. Cette reconnaissance exige le respect de l’autre. Reconnaissance
aussi de la volonté de l’autre, de ses choix qui qu’il faits etc. Évidemment, tout ça est réciproque. Si le choix de l’un nuit à l’autre, cet autre doit se défendre.

La seule vrai liberté de tout individu, est celui du choix de sa mort. C,est pourquoi le meurtre est si grave et certainement l’acte le plus vil que l’individu peut commettre.

Alors, il faudrait se poser une question : Est-ce que nous avons droit de refuser l’euthanasi (le choix de cette douce mort) à un être qui le décide. Ce n’est pas ici le résultat d’une dépression ou d’autres sources pathologiques, non, c’est un choix sur sa propre existence.

Comment peut-on refuser de répondre à sa demande ? À sa requête d’être humain libre de soi ?

Claude Salvaille
Québec

Euthanasie et judaïsme

J’ai écouté avec intérêt votre conférence sur l’euthanasie. Plusieurs points m’ont surpris. Je souhaite, si vous le voulez bien, intervenir sur l’un d’entre eux, bien qu’il ne soit pas lié directement avec le titre de l’article.

Vous mentionner (dans la conférence) une histoire du talmud   (104b) où les disciples du rabbin   priaient pour la guérison rapide de leur maître et lorsque sa servante le connaissant intimement pensait que la mort était plus louable que la vie, elle provoqua une interruption aux prière et la vie du maitre cessa.

Ma question peut se diviser en deux sous-questions.

Vous sous-entendez la que la présence de prière ou son absence peuvent engendrer un changement de l’état d’un patient. Hors je ne vois pas trop le rapport entre la maladie, qui est causé par une mauvaise nutrition ou une bactérie, (autant qu’un tsunami n’est qu’une catastrophe naturelle) et la prière ?

Mais même en admettant que la prière à un pouvoir sur la maladie, cela signifierai que Dieu écoute la supplique humaine et fait « pour le mieux ». Dans ce cas, cela signifierai que le mieux fut été qu’il vive, et la servant non-instruite, comme vous le supposez, pensait pouvoir aboutir à un résultat meilleur en interrompant les prière.

Merci.

Euthanasie et judaïsme

Cher M.

Tout d’abord n’hésitez pas à poser toutes les questions que voulez.

Dans cette conférence je rapporte plusieurs textes de la tradition juive. Ces textes sont des bases de réflexion et ne sauraient en aucun cas dicter la loi.

Une histoire talmudique est toujours complexe et présente souvent plusieurs dimensions. Chaque texte doit être étudié en détail. Ce n’est pas le propos ici.

Le texte sur la mort de Rabbi, sous entend en effet que la prière le maintien en vie. Il considère que la prière a un effet réel et efficace. La servante en interrompant la prière, interrompt cet effet, provoquant le décès de Rabbi.

La volonté de Dieu n’est clairement exprimée dans ce texte. Il n’est pas clair si la prière a un effet direct sur l’âme de Rabbi, sur sa vitalité si vous préférez, ou sur autre chose, les forces d’en haut (qui ne sont pas forcément la volonté divine). Le fait est qu’elle est vécue comme un obstacle par cette femme qui décide de l’interrompre. Son geste peut être comparé à la suspension de soins dans des cas extrêmes.

Le Talmud   ne blâme en rien cette femme, il sous entend au contraire qu’elle a agi avec perspicacité, quand bien même elle forcerait la main au ciel...

Ce qui est très intéressant dans ce texte, c’est qu’il met en scène l’opposition entre deux principes : celui du respect de la vie et du refus de la mort, principe fondamental mais pas toujours réaliste ; et par ailleurs la vision beaucoup plus terre à terre de la servante qui considère qu’il faut mettre fin aux souffrances de son maître. De toute façon, dans cette histoire, la mort reste naturelle. Les personnes extérieures, ceux qui prient dans la cour, tout comme la servante, ne font qu’intervenir indirectement.

Ce que Dieu désire dans tout cela, personne n’en a la réponse. Je vous signale d’ailleurs que l’idée même de volonté divine et un anthropomorphisme et donc une faiblesse du langage humain. Cela nous échappe totalement par définition.

J’espère avoir répondu à votre question.

Bien à vous

Yeshaya Dalsace

Euthanasie et judaïsme

Merci de votre réponse.

J’avoue avoir été assez surpris de la part d’un rabbin   quand vous dites : « Je vous signale d’ailleurs que l’idée même de volonté divine et un anthropomorphisme et donc une faiblesse du langage humain. Cela nous échappe totalement par définition ».
N’est-ce pas la vocation d’un rabbin   d’éclairer les lanternes du peuple ou même de sa communauté ? si lui même n’a pas d’idée de a volonté divine qu’a t-il à nous apprendre ?

Je vous ai demandé : « Vous sous-entendez la que la présence de prière ou son absence peuvent engendrer un changement de l’état d’un patient. Hors je ne vois pas trop le rapport entre la maladie, qui est causé par une mauvaise nutrition ou une bactérie, (autant qu’un tsunami n’est qu’une catastrophe naturelle) et la prière ? »

Vous me répondez : « Le texte sur la mort de Rabbi, sous-entend en effet que la prière le maintien en vie. Il considère que la prière a un effet réel et efficace. La servante en interrompant la prière, interrompt cet effet, provoquant le décès de Rabbi. »

Mais vous ne me dites pas le rapport entre « la maladie, qui est causé par une mauvaise nutrition ou une bactérie et la prière ? »
Cette absence est-elle révélatrice d’un désaccord personnel avec ce texte ?

Merci.

Euthanasie et judaïsme

Cher Monsieur,

Un rabbin   n’est pas le détenteur de la volonté divine. C’est un interprète des textes et un enseignant (déjà une bien lourde tâche).

Aucun être humain ne connaît vraiment la volonté divine. Le divin se laisse connaître partiellement au prophète, mais même Moïse ne peut voir la face de Dieu, que l’on peut comprendre comme la « volonté », il ne peut voir que l’arrière, c’est-à-dire les conséquences a posteriori. (cf. Exode 33 et TB Brakhot 7a).

Un rabbin   qui dirait qu’il connaît clairement la volonté divine serait un charlatan. C’est donc du contraire et non de mes paroles dont vous devriez vous étonner.

Tout attribue que l’on accorde au divin reste par définition une forme de langage incomplète. C’est notre façon de nous exprimer. La volonté relève forcément du caractère humain, vivant. Dieu se trouve au-delà de ces contingences. Lisez le « guide des égarés » sur ces questions (traduit aux éditions Verdier).

Dans le texte qui nous intéresse, la volonté divine n’est pas exprimée de toute façon. Sur la question de la prière, elle semble avoir une efficacité en effet, en tout cas dans le cas décrit. A priori un croyant a tendance à penser que la prière peut être efficace. Ce texte ne permet nullement d’aller au fond de cette question qui n’est de toute façon pas le sujet de l’euthanasie traité ici.

Je n’ai aucun désaccord personnel avec ce texte, et je n’ai pas à prendre position pour ou contre ce texte. Je cite ce texte comme base de réflexion à propos de la question de l’euthanasie, voilà tout.

Il existe par exemple, la possibilité de prier pour que quelqu’un meurt plus rapidement et sans souffrir. On voit un exemple dans le TB Baba Metsia 84a.

Il n’est pas du tout dit que la prière influence sur la maladie elle-même, peut-être influence-t-elle les forces psychiques et spirituel du malade. Ce n’est pas la même chose. Peut-être a-t-elle une influence sur son désir de vie. De toute façon, personne ne connaît l’influence véritable de la prière. C’est incalculable. Une expérience très intéressante a été faite en ce sens aux Etats-unis dans un hôpital.

Sur le fond je ne comprends pas à quoi vous voulez en venir, à propos de cette histoire de prière. Quel rapport avec le sujet de la fin de vie ?

Yeshaya Dalsace

Euthanasie et judaïsme

Sans doute n’y a-t-il qu’une seule et véritable égalité entre les hommes : celle de mourir un jour. Certains ont la chance de mourir de leur belle mort durant leur sommeil. Affront osé aux autres qui trépassent dans la souffrance et la déchéance tant physique que psychologique et pour qui l’euthanasie n’est que le pâle sosie d’une soi-disant « belle mort ».

L’euthanasie ne cesse et ne cessera sans doute jamais de susciter des débats aussi passionnés que virulents et de faire couler de l’encre. Que l’on soit pour ou contre, elle ne laisse personne indifférent. Déjà le mot mort lui-même fait peur, ajoutez-y la souffrance et vous obtenez un cocktail explosif ! Mais belle ? La mort peut-être être belle ? Où allons-nous ? Ne serait-ce qu’un passage obligé pour rejoindre le Gan Eden ? Devons-nous avoir peur de mourir ? Comment aussi oublier que donner la vie c’est donner la mort ? N’allez jamais dire cela à une femme enceinte, elle ne comprendrait pas et se révolterait justement envers de tels propos ! C’est pourtant le cycle infini de la vie toujours recommencée de l’humanité toute entière.

Des hommes se sont réunis dans différentes instances, ont débattu, ont légiféré et les textes de lois, rédigés pour endiguer leurs dérives meurtrières, sont loin d’être aboutis. Aucune uniformité non plus dans l’Europe et dans le monde en général. Lorsque vous sur imprimez à ces lois les convictions religieuses propres à chacun, vous vous rendez bien compte qu’il semble impossible de faire une généralité des nombreux cas particuliers qui font l’universalité du problème. Il y a bien à considérer de paire loi pénale et loi religieuse.

Il est aussi important de souligner que trop souvent est fait l’amalgame entre « euthanasié » et « euthanasiant » et que pour être tout à fait précis, l’euthanasie se pose de ce double point de vue. « L’euthanasié » est le malade en fin de vie, atteint d’une maladie irréversible qui demande explicitement, et de façon constante et réitérée, à être euthanasié. C’est son choix, sa suprême liberté, conscient qu’il vivra ses dernières heures de vie dans des souffrances inapaisables et insupportables, état dépourvu de toute dignité humaine.
« L’euthanasiant » c’est le conjoint, la mère, les enfants, le médecin, à qui le malade demande d’accomplir l’acte d’euthanasie, satisfaire cette demande qui ne va pas de soi : objection d’ordre métaphysique pour convictions philosophiques ou religieuses, objection d’ordre déontologique car cet acte est contraire au serment d’Hippocrate que le médecin a prononcé à l’entrée dans sa carrière et objection d’ordre juridique puisqu’en l’état actuel de la législation française, l’euthanasie est interdite (Humanisme, Hors série de Septembre 2007, réflexion sur l’euthanasie).

En France, si la loi pénale ne refusait pas en bloc le principe d’euthanasie en fermant trop souvent les yeux sur des pratiques cachées, si elle pouvait définir l’exception d’euthanasie, la situation serait peut-être moins compliquée et nous n’aurions à agir qu’en fonction de nos convictions personnelles. Que faudrait-il entendre par exception d’euthanasie ? Dans l’absolu, une telle définition peut-elle exister ?

« S’agissant du sens courant, l’exception peut se définir comme ce qui est en dehors du général, du commun, ce qui la rapproche des notions d’anomalie et de singularité. S’agissant du sens juridique, c’est beaucoup moins clair ; elle apparaîtrait comme une exception dans la procédure devant être soulevée en début de procès » (Revue de science criminelle 2004, Euthanasie et droit pénal : La loi peut-elle définir l’exception ? de Christophe André).

Mais la loi n’a pas vocation à définir l’exception. D’une part l’exception d’euthanasie serait une impossibilité au regard des règles classiques de procédure pénale. D’autre part une telle loi heurterait les droits fondamentaux notamment le principe à valeur constitutionnelle de dignité de la personne humaine telle qu’énoncé dans l’article 16-1 du Code civil, chacun ayant droit au respect de son corps.

« De nombreux auteurs soulignent que la dignité humaine constitue un argument réversible sur la plupart des sujets bioéthiques, et particulièrement au regard de l’euthanasie » et que donc « le principe fondamental de dignité humaine peut aussi bien servir de fondement à une censure de l’exception d’euthanasie que de cadre juridique pour sa consécration » (Revue de science criminelle 2004, Euthanasie et droit pénal : La loi peut-elle définir l’exception ? de Christophe André).

« Dès lors qu’il appartient au juge de dire si une violation de loi commise dans un contexte particulier peut justifier une excuse ou une dispense de peine, il n’appartient pas à la loi d’autoriser la violation des principes dont elle s’inspire. » Bien sûr la souffrance doit être prise en considération mais elle ne doit pas être exploitée. Que chacun puisse revendiquer son libre choix du moment et des conditions de sa mort, c’est discutable ; mais que cette exigence soit un droit à mourir dans la dignité, c’est contestable. « Cette revendication sous-tend l’idée qu’il y a des vies moins dignes que les autres. Or le principe de dignité est une qualité liée à l’humanité, elle ne supporte aucune autre condition. Allons plus loin, si l’on considère que la libre disposition de sa vie est un droit, il suffira de vérifier le consentement de l’intéressé, c’est-à-dire son profond désir de ne plus vivre, pour que la mort lui soit donnée. Or personne ne s’aventure à admettre une telle licence. Il apparaît clairement en fait que la décision est celle du médecin, ou d’un comité de sages   ou d’experts qui doit d’abord certifier que la qualité de vie de la personne est insuffisante pour autoriser l’acte mortifère. C’est le sens des propositions visant à créer une exception d’euthanasie, c’est-à-dire une dépénalisation partielle de cet acte. Prenons garde, cette évolution s’inscrit dans une logique qui de la conception à la mort tend à établir une échelle de valeur de la vie humaine qui ouvre la voie à toutes les dérives » (La Semaine Juridique Édition Générale n° 14 du 2 avril 2008, Euthanasie : ne pas céder à l’émotion, Libres propos par Bernard Mathieu). Et dans ces conditions, que chacun fasse et assume la responsabilité de son acte et la société pourra comprendre à défaut de l’autoriser.

La possibilité d’une mort plus douce et plus sereine – donc plus belle – s’entrevoit ; que l’euthanasie soit passive ou active, le problème existe déjà pour moi bien en amont. Entrer dans la zone de turbulence nommée acharnement thérapeutique, c’est inévitablement avoir à se poser un jour la question du franchissement de la ligne rouge de l’interdit pour le humainement correct ? Le soulagement de la souffrance n’impliquant pas le passage à l’acte même si parfois un surdosage peut engendrer la mort par arrêt cardiaque.

Si nous sommes spectateurs d’une mort inéluctable et prochaine, nous ressentons en nous quelque chose de fort que nous ne nous avouons pas forcément et qui pourtant nous déstabilise. La vue de ces êtres agonisants devenus l’ombre d’eux-mêmes nous renvoient notre image, nous comme nous serons peut-être aux derniers instants de notre vie… Ils nous font peur, nous avons peur pour nous-mêmes, l’idée de la souffrance, plus que de la mort elle-même, nous apparaissant intolérables. Nous avons besoin d’être rassurés.

La peur de mourir n’est pas la même chose que la peur de la mort. Pour être en état de mort, nous devons mourir, (verbe d’action s’il en est). La peur de mourir, ce serait la peur de partir pour ce voyage vers l’inconnu que l’entendement ne pourrait atteindre, comme un saut dans le vide. La peur de la mort, ce serait la peur de ce qui est après, de ce qu’il adviendra de notre âme lorsque se sera désagrégée notre enveloppe charnelle. La plupart du temps, nous n’avons pas conscience de cette peur tapie en nous parce que nous n’y pensons pas. Pascal d’écrire : « Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre heureux, de n’y point penser » (Pascal, Pensées 133). Pourtant lorsque nous y pensons ou lorsque nous y sommes confrontés, nous n’arrivons pas à réprimer ce sentiment d’impuissance face à notre plus grande menace : celle de perdre notre vie.

S’élèvent alors devant nous ces immenses points d’interrogation ! Allons-nous quelque part ? Comment est la mort ? Notre âme est-elle immortelle ? Et Voltaire de rétorquer : « La raison humaine est si peu capable de démontrer par elle-même l’immortalité de l’âme que la religion a été obligée de nous la révéler » (Voltaire, Lettres philosophiques). Mais si notre foi, notre croyance en D. et notre confiance dans l’accomplissement de ses promesses font que nous croyons à l’immortalité de notre âme et à la vie éternelle par notre résurrection, alors cette immortalité sera notre récompense spirituelle ultime comme accomplissement de notre être et nous serons accueillis dans ce monde à venir où la présence divine nous illuminera. (Isaïe, Chapitre 60, versets 18 à 22).
18 On n’entendra plus parler de violence en ton pays, de ravages ni de ruine en ton territoire, et tu appelleras tes murs « Salut », et tes portes « Gloire ».
19 Ce ne sera plus le soleil qui t’éclairera le jour, ni la lune qui te prêtera le reflet de sa lumière : l’Éternel sera pour toi une lumière permanente, et ton Dieu une splendeur glorieuse.
20 Ton soleil n’aura jamais de coucher, ta lune jamais d’éclipse ; car l’Éternel sera pour toi une lumière inextinguible, et c’en sera fini de tes jours de deuil.
21 Et ton peuple ne sera composé que de justes, qui posséderont à jamais ce pays, eux, rejeton que j’ai planté, œuvre de mes mains, dont je me fais honneur.
22 Le plus petit deviendra une tribu, et le plus chétif une nation puissante. Moi l’Éternel, l’heure venue, j’aurai vite accompli ces promesses.

À présent j’ose vous le demander, en ayant de telles croyances, comment pourrions-nous ôter ne serait-ce qu’une bribe de leur souffle sans quelque part nous tuer nous-mêmes ? Au nom de quoi nous acharnerions-nous à souffler leurs bougies ? Pourquoi ne pas laisser libre le cours des choses ? D. sait ce que nous ne savons pas. Entraver sa décision c’est mettre un grain de sable dans les rouages de son plan. Devancer son plan c’est fausser le système de notre fonctionnement et le rapport que nous avons au temps (je pense de manière identique pour les naissances programmées), ce même rapport qui fait que nous sommes un peuple en marche. Il y a eu le jour de notre naissance, il y aura le jour de notre mort avec l’instant présent comme instant important, cet instant comme étape qui aboutira fatalement à celui de notre mort qui, elle, nous ouvrira les portes du Gan Eden.

Toute cette vision, c’est ma vision des choses, cérébralement parlant. Quand j’ai travaillé en milieu hospitalier - en général -, en services de réanimation soins intensifs et de soins palliatifs - en particulier -, je dois dire que mon approche, et ce même si j’ai été personnellement confrontée à cette situation extrême, était plus pragmatique. Vivre auprès des malades et notamment ceux en phase terminale ou en fin de vie appelle à la compassion et à l’humanité. Ne pouvant supporter toute la misère du monde au risque de voir se détériorer ma propre santé mentale, j’ai été obligée de prendre du recul et considérer les choses avec moins d’emportement passionnel. Je ne suis pas médecin donc pas décisionnaire mais j’ai soigné et tenu la main de ces malades. Comment rester de marbre devant leur état de décrépitude avancé et leur supplique d’en finir lorsque même leurs larmes ne peuvent plus couler, quand la famille vous supplie d’intervenir, quand le nursing et l’alimentation par sonde ou par perfusion ne peuvent plus rien ? L’euthanasie, ne devrait-elle pas, ne pourrait-elle pas être évitée, n’aurait peut-être pas de raison d’être sans l’acharnement thérapeutique ? Cet acharnement ne serait-il pas du temps volé au temps, du temps hors du temps ? La science et le progrès médical ont simultanément fait reculer les maladies et les limites de résistance du corps humain. Quand la médecine doit-elle cesser de combattre en allant contre la nature et le cycle de la vie ? Si le bruit lancinant des pompes injectant à intervalles réguliers des doses de morphine et si celui cadencé des machines d’assistance respiratoire nous insupportent et nous incitent à passer à l’acte pour devenir des criminels en puissance, alors posons-nous la question avant de dériver ?

Je terminerai ce commentaire par l’histoire la plus triste et la plus merveilleuse qu’il m’ait été donné d’entendre récemment. L’autre soir sur Canal sur le plateau de Thierry Ardisson, une chose très étrange s’est produite. Un silence médusé plane sur les invités de l’émission et le présentateur témoigne une attitude de respect et d’écoute attentive. D’une voix douce et sereine, une jeune femme, Anne-Dauphine Julliand raconte comment elle et son mari apprennent, que Thaïs, leur petite fille de deux ans, pleine de vie et de gaieté, est atteinte d’une maladie génétique incurable et que ses jours sont comptés. Elle relate la mobilisation de toute la famille, d’une nounou sénégalaise dévouée et d’amis attentifs. Comme tout le monde sur le plateau, je suis émue et suspendue à ses lèvres. Elle cite une phrase du professeur Jean Bernard : « Il faut rajouter de la vie aux jours quand on ne peut plus rajouter des jours à la vie ». Les parents de cette petite fille savent qu’elle sera bientôt privée de toute motricité puis très vite de la parole, de la vue et de l’ouïe mais ils lui donnent ce qu’il reste quand il n’y a plus rien, c’est-à-dire de l’amour. En retour, et à profusion, Thaïs fait aux siens, au milieu de ses souffrances, le beau cadeau d’une magistrale leçon de courage, de sérénité et d’amour. Anne-Dauphine Julliand retrace sa bouleversante histoire dans un livre au doux titre : « Deux petits pas sur le sable mouillé ». Ne nous voilons pas la face mais baissons les yeux, cette femme nous transmet dans ses déclarations un clair message d’espoir, d’optimisme, de foi en la vie et de foi tout court. Elle n’est pas juive elle est chrétienne, mais quelle magnifique leçon d’amour ! Je m’incline…

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