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Abraham Joshua Heschel (1907-1972)

Abraham Joshua Heschel (1907-1972)

ou le judaïsme du cœur -

Un des grands maîtres spirituels du judaïsme contemporain dont nous fêtons le centenaire, AJ HESCHEL   a donné une nouvelle impulsion à la pratique et à la philosophie juive, et fortement contribué au rayonnement du courant Massorti  

Descendant d’une lignée d’illustres maîtres hassidiques, le jeune Abraham Joshua recoit à Varsovie, sa ville natale, et dans sa famille, une éducation talmudique traditionnelle à laquelle s’ajoute l’approfondissement de la kabbale.

Puis il part à Berlin, où il obtient un doctorat de philosophie à l’Université, tout en suivant les cours de l’Ecole Supérieure des sciences du Judaïsme. Il avait déjà reçu la semikha (diplôme rabbinique) au terme de ses années de Yeshiva en Pologne, il en reçoit une seconde, libérale cette fois, à Berlin.

Il y rencontre Martin BUBER, qui le sollicite pour lui succéder à l’Organisation juive d’éducation des adultes, mais la fermeture des institutions juives par les nazis et la persécution le contraignent à l’exil. A Londres, il fonde un institut puis, invité à enseigner à Cincinnati, il devient professeur de philosophie et d’études rabbiniques au Hebrew Union College de cette ville.

Le manque de rigueur halakhique qu’il dénonce au HUC va motiver sa démission.

En 1945, il se voit confier une chaire d’éthique et de mystique juives au Jewish Theological Seminary de New-York - séminaire “conservative  ” ou massorti  . Il y enseignera jusqu’à sa mort, en faisant un lieu d’études universitaires où se conjuguent la pensée critique moderne et la Halakha   traditionnelle.

Remettant en question autant le laxisme d’un certain judaïsme libéral que le rigorisme légaliste d’une certaine orthodoxie  , Heschel   savait être aussi modéré dans ses attaques que ferme dans ses critiques.

Un témoin engagé....

Pour autant, et peut-être sous l’influence du hassidisme   familial, c’est surtout la spiritualité qui oriente ses préoccupations. Il y puise de quoi nourrir son engagement dans le monde. Initiateur du dialogue judéo-chrétien aux Etats-Unis, son érudition et son ouverture d’esprit lui valent d’être consulté lors du Concile Vatican II lors des travaux sur le judaïsme. Il demeure d’ailleurs un des penseurs juifs les plus étudiés par les chrétiens. En militant pour la liberté et les droits de l’Homme, il prend une part active à la lutte de Martin Luther King - dont il était l’ami, et s’implique tout autant dans le combat pour la libération des Juifs d’Union Soviétique. Ses engagements découlent de sa manière de penser la portée sociale et éthique du message prophétique : dans son enseignement comme dans sa vie, Heschel   veut témoigner que la voix des prophètes ne s’est pas éteinte avec la prophétie biblique.

L’enseignement de A.J. HESCHEL  . couvre tous les domaines de la pensée juive classique : l’exégèse rabbinique et philosophie médiévale, la kabbale et - ce qui est sans doute l’assise de sa formation : le hassidisme   hérité du Baal Shem Tov. Son oeuvre écrite, qui complète et clarifie son enseignement, est certainement l’expression d’un homme érudit, mais il parle à la conscience davantage qu’à l’intellect. Maître spirituel, Heschel   s’adresse au coeur compris non comme le siège de l’affectivité, mais comme le lieu de la plus haute spiritualité.

... et un hassid

Ce qu’on éprouve en présence du divin est peut être de l’ordre de l’émotion, voire de l’intuition, mais pas du savoir. Comme si nous devions explorer ce que nous croyons savoir pour retrouver, au-delà du savoir, ce que nous avons oublié : l’origine, le sens, la finalité de toute chose - et de nous-même... qui ne sommes pas les maîtres absolus de toute chose. L’étonnement conduit à l’étude. Si la Torah, comme l’intitule une collection de textes de Heschel  , est un “prisme céleste réfracté au fil des générations”, c’est en particulier parce que les mots de la Torah, comme autant d’énigmes, posent une question avant d’être des affirmations. C’est pourquoi l’interprétation autorise la confrontation et la contestation – à condition qu’elles s’appuient sur le Texte. Les anthopomorphismes qui servent à désigner l’Ineffable, l’Irreprésentable, l’Invisible UN sont la mesure de l’expression humaine, pas la mesure du divin, dont aucun mot ne suffit à exprimer l’ Essence et qu’aucun mot ne peut définir.

Pour Heschel  , le judaïsme se définit par une relation “théocentrique” au divin (Dieu est au centre de la vie) : une adhésion. Car Dieu n’est ni une idée, ni l’objet d’un savoir : que peut-on dire de Lui sinon, peut-être... ce qu’Il n’est pas ? De ce fait, la relation à Dieu est de l’ordre de la crainte révérentielle – celle de ne pas assez Le servir et L’aimer, de ne pas suffisamment sanctifier Son monde et la vie. La crainte (trop souvent comprise comme une peur de la Toute-Puissance d’un Dieu vengeur) s’accompagne du sens de la splendeur de la nature, de l’expérience de la beauté et de la joie, foyer incandescent de la ferveur. La mise en actes de ces prescriptions d’origine divine que sont les mitzvot est le moyen donné à Israel pour témoigner de son amour pour Dieu.

Un maître

Son livre (peut-être le plus célèbre) “Les Bâtisseurs du Temps” est une apologie du Shabbat, sanctuaire durablement édifié dans le temps, tandis que le Temple bâti à Jérusalem a été détruit par deux fois. Du même coup, Heschel   montre qu’actualiser la sanctification du temps - en observant le Shabbat - peut être le premier pas vers l’intériorisation de l’observance des mitzvot – ce “mode d’emploi de la Création” qui concerne chaque aspect de la vie, et permet de donner sens et densité au quotidien.

Dans “Dieu en quête de l’homme, philosophie du judaïsme”, d’un contenu plus vaste, Heschel   cherche à montrer comment le judaïsme traite les questions universelles que pose à l’homme sa condition d’homme, sachant que la spécificité juive est un “être-en-relation” collectif et respondable avec le divin. Dans cette perspective, il s’agit moins pour le peuple juif d’attendre des réponses de Dieu aux questions existentielles, que de comprendre le sens de l’élection d’Israel, de percevoir le processus de la Révélation, de vivre et de pratiquer les commandements. dans l’amour et avec cette intention correctement dirigée qu’on appelle la kavanah. Pour autant, Heschel   affirme l’universalité de la spiritualité : si elle naît d’un étonnement qui est le propre de l’homme (l’animal n’a pas cette aptitude), elle n’est pas l’apanage spécifique d’une religion donnée !

“Le Tourment de la vérité” (livre malheureusement épuisé), est une méditation sur la foi, à partir de la confrontation du message du Baal Shem Tov – figure rayonnante de la piété juive - et de celui du Rabbi Menahem Mendel de Kotzsk – maître rigoureux et tourmenté jusqu’à l’instransigeance. Cet ouvrage illustre bien l’une des affirmations préférées de Heschel   : “Les théologies nous divisent, la théologie des profondeurs nous unit”.

Hassid et philosophe, pédagogue et mystique, Abraham Joshua HESCHEL   nous a laissé une oeuvre qu’il vaut de découvrir : au fil des pages, le judaïsme qu’il nous offre ouvre à “l’émerveillement, source de toute connaissance”. C’est un cadeau de vie.

am. Dreyfus

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http://www.massorti.com/spip.php?ar...

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