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Le temps juif

Le temps juif

Comprendre la vision juive du temps -

Un petit ouvrage du rabbin   Abraham Heschel   porte dans sa traduction française le joli titre : « les bâtisseurs du temps », il y défend la thèse que les Juifs ont développé une sensibilité particulière au temps

Un petit ouvrage du rabbin   Abraham Heschel   porte dans sa traduction française le joli titre : « les bâtisseurs du temps », il y défend la thèse que les Juifs ont développé une sensibilité particulière au temps et que le véritable palais du judaïsme est son rapport au temps et notamment celui du shabbat. Mais comprendre le calendrier juif n’est pas si simple et voici quelques explications et points de réflexion :

Comprendre le calendrier :

Les jours :

Le jour juif commence à la tombée de la nuit, cela à cause du verset de la Genèse lors du récit de la création du monde : « il y eut un soir, il y eut un matin… jour un ». C’est pourquoi shabbat et les jours de fêtes juives commencent toujours au coucher du soleil et finissent à l’apparition des premières étoiles, donc la nuit tombée, le lendemain.

En hébreu, le jour se dit Yom, on dira donc Yom Hashabat, Yom Kippour, Yom Tov pour les jours de fête chômés, etc…

Les heures :

Dans l’Antiquité, on divisait la nuit en douze heures et le jour en douze heures, heures relatives donc à la durée du jour et de la nuit, variant au gré des saisons, contrairement à nos heures qui sont fixes et font constamment 60 minutes. Ce compte des heures a une incidence sur le calcul du temps limite pour dire la prière du matin de chaque jour ou la destruction du Hamets à la veille de Pessah par exemple. Ainsi, lorsqu’on lit dans un texte classique du judaïsme l’expression « jusqu’à telle heure » ou « à partir de telle heure », il faut savoir qu’il s’agit d’heures relatives et non de l’heure occidentale.

La semaine :

La semaine est sans doute le trait le plus caractéristique de la religion juive, qui fixe comme axe principal le temps sacré du shabbat hebdomadaire. La semaine n’est pas une invention juive et on la retrouve chez les Chaldéens. Elle correspond à environ 1/4 du mois lunaire.

Par contre, l’idée du shabbat chômé, jour de délice particulièrement spirituel est tout à fait originale. Le judaïsme y attache une énorme importance au point que le shabbat est le seul jour de la semaine à avoir un nom : « Yom Hashabbat » ; les autres jours ont seulement des numéros : « premier jour », « deuxième jour », etc… jusqu’au sixième... Cela contrairement aux pratiques païennes qui nommaient les jours en fonction d’un astre et donc aussi du nom d’une divinité associée à celui-ci, pratique conservée par l’occident. La semaine juive s’est imposée peu à peu au monde entier, mais il y eut aussi d’autres systèmes : les chinois ou les égyptiens comptaient en décade (10 jours), les romains en périodes de huit jours…

La semaine commence à la sortie du Shabbat, donc le samedi soir et le premier jour de la semaine est le dimanche. En Israël, le dimanche est un jour ouvrable et tout le monde travaille. Il faut savoir qu’officiellement, dans bien des pays chrétiens, les Etats Unis notamment, le dimanche, même s’il est chômé, est considéré comme le premier jour de la semaine.

En hébreu la semaine se dit Shavoua, du mot sheva qui veut dire sept. Dès le samedi soir, on se souhaite « shavoua tov », une bonne semaine.

Le mois :

Le mois hébraïque est lunaire : il commence avec la nouvelle lune et se termine avec une nuit sans lune. Il dure 29 ou 30 jours selon les cas car le cycle de la lune dure environ 29,5 jours. Le 15 du mois correspond donc à la pleine lune. Le mois se dit Hodesh, de la racine hadash « nouveau », la lune nouvelle symbolise la capacité à renaitre et à se renouveler.

Il y a douze mois dans l’année, mais comme il manque 11 jours pour correspondre à l’année solaire de 365 jours, on rajoute un 13e mois tous les 3 ans afin que le cycle des fêtes et des mois corresponde aux saisons. Ce mois est le deuxième Adar, « Adar sheni ».

Chaque mois porte un nom babylonien que les Juifs ont rapporté de l’exil de Babylone.
Assez curieusement, on comptait les mois à partir du printemps, le mois de Nissan  , celui de la fête de Pessah, étant appelé dans la Bible « le premier des mois ». Mais le nouvel an, donc le compte des années, rosh   hashana, se trouve à l’automne, au début du 7e mois, le mois de Tishri  .

Le premier jour du mois, rosh   hodesh, était une fête dans l’antiquité, spécialement dédiée aux femmes. De nos jours, la liturgie de ce jour diffère des jours normaux, on lit notamment la prière festive du Hallel   et on sort la Tora ce jour-là.

L’année :

La religion juive est étroitement liée au calendrier agricole méditerranéen. Chaque fête correspond à une saison particulière. Pessah marque l’arrivée du printemps, Shavouot annonce le début de l’été en Israël, avec son lot de récoltes, Soukot   indique qu’arrive l’automne et la fin de l’année agricole. Il est donc primordial que le système des mois lunaires reste en adéquation avec l’année solaire, d’où la nécessité de rajouter un 13e mois régulièrement, comme nous l’avons déjà expliqué. L’année se dit « Shana », ce qui sous-entend la répétition régulière, le cycle.

Rosh   Hashana, le 1er Tishri  , marque le début de l’année à l’automne. A cette date, on change dans le calendrier le chiffre qui correspond à l’année. Le point de départ pour compter les années est la création du monde d’après le compte du récit biblique ; si la Bible représente une haute valeur littéraire, elle n’a pas de valeur scientifique, c’est donc tout simplement une convention qui cherche à montrer le côté universel du compte du temps, à partir de ce qu’on considère comme le début de l’humanité, contrairement au particularisme du compte chrétien. Cette habitude de compter ainsi les années est tardive et date en fait du 5e siècle. On arrive ainsi en 5560 lors de l’an 2000 du compte chrétien et en 5774 cette année.

Shabbat et jours de fêtes :

La semaine est ponctuée par le shabbat. Le shabbat est considéré comme un temps différent, sanctifié, dont on marque l’arrivée au coucher du soleil le vendredi soir par une cérémonie d’accueil comme pour une mariée et que l’on quitte avec regret le samedi soir aux premières étoiles par une autre cérémonie imprégnée de nostalgie : la havdala  . Le temps du shabbat est vu comme « délicieux », imprégné de l’éternité du monde futur. Comme si les rites et les interdits du shabbat imprégnaient le temps jusqu’à le faire changer de nature.

Il existe un autre temps sanctifié : les jours de fête, le Yom Tov, littéralement « le jour bon ». Les mêmes règles que le shabbat s’imposent ou presque, là aussi, on se consacre aux joies de la vie, à l’étude, la famille et les plaisirs…

Les autres jours, les jours de semaine, les jours d’activités habituelles, les jours de métro boulot dodo, sont considérés comme profanes, « h’ol » ce qui signifie littéralement « vide », comme si le temps du quotidien, le temps de la plupart des gens et de la plupart des vies était vide de sens, un temps du rien, contrairement au temps de la sainteté, au « kodesh » au temps à part.

Le rapport du judaïsme au temps : Bâtir le temps

Pour le judaïsme, le rapport de l’homme au temps est essentiel. La conscience du temps et notre capacité à gérer ce temps sont parmi les caractéristiques qui nous différencient des animaux. L’homme observe le temps et l’investit.

Mais le temps est également une prison dont il est impossible de s’extraire puisqu’il coule irrémédiablement pour nous mener de la naissance à la mort. Tout ce que nous pouvons faire est insuffler à l’instant présent une part d’éternité. « Bâtir le temps » consiste à insuffler de la sainteté à certains jours particuliers : le shabbat et les fêtes. La sainteté du temps s’exprime en donnant à ce temps une qualité particulière, en le mettant à part, en le considérant comme différent, en montrant que le temps sanctifié n’est pas le temps profane. On le fait concrètement en insistant sur la vie sociale : la joie, le plaisir de vivre, celui de la nourriture et de la convivialité ; sur la vie spirituelle contemplative : l’étude de la Tora et les rites. Ce temps sanctifié est marqué par une restriction des activités humaines au profit d’un retour sur soi-même. Le moment le plus marqué et le plus exemplaire est incontestablement le shabbat qui sanctifie le temps de semaine en semaine et montre que le temps profane de semaine est au service du temps sanctifié du shabbat où l’humain accède à sa véritable liberté. Mais c’est aussi le temps du Yom Tov, celui des jours de fête chômés.

Dans une année, il y a 6 jours fériés répartis entre Pessah, Shavouot, Rosh   Hashana et Soukot  , ces 6 jours amorcent donc une sorte de semaine de la sainteté essaimée sur l’année. Ces 6 jours sont couronnés par un 7e, plus saint que les autres, le saint des saints du temps juif : Yom Kippour, appelé aussi « shabbat des shabbat ».
La construction du temps juif est donc subtile et cette conception construit l’homme qui lui-même bâtit le temps.

On voit que le judaïsme investit le temps afin de lui donner une dimension essentielle pour l’homme, et marquer sa liberté de s’arracher à l’instant présent et de trouver dans l’instant la dimension de l’infini.

Le temps sera aussi celui de la vie d’un individu marquée par des étapes symboliques importantes. La naissance est mise sous le signe de l’alliance, celle de la circoncision pour les garçons mais aussi celle de la nomination pour une fille, enfants nouveaux-nés qui sont donc inscrits d’emblée dans la longue chaîne des générations d’Israël. A 12 et 13 ans, la bat mitsva   et la bar mitsva   marquent l’entrée dans le monde de la responsabilité, nouveau temps de la vie où l’individu sort de l’enfance et doit dorénavant rendre compte du sens de son existence. Une fois adulte, vient le temps du mariage où l’individu doit construire une famille, cellule essentielle pour la transmission du judaïsme et l’apprentissage de l’altérité quotidienne. Durant toute sa vie, l’individu est censé progresser dans la voie de l’étude de la Tora et de l’accomplissement de la discipline des commandements. La mort vient au bout du compte mettre fin à une vie considérée comme pleine de sens, vaste parcours initiatique que l’humain ne peut quitter qu’avec regret. Celui qui meurt est dit en hébreu « niftar », débarrassé de ses obligations de la construction du temps car passant de l’autre côté, dans une dimension où le temps n’existe plus, un monde en devenir, Olam Haba.

En conclusion : pour le judaïsme, le temps est un enjeu essentiel pour l’être humain, il se construit, s’investit mais également nous échappe. Et si le temps était Dieu lui-même ? Le nom de Dieu, le tétragramme, imprécisément traduit par « l’Eternel », représente la multiplicité du temps, c’est le verbe être conjugué à tous les temps, une sorte d’équation physique incompréhensible à l’homme.

En hébreu, temps se dit avec deux mots : « zeman » et « e’t ».

E’t c’est l’instant, le moment à saisir, mais forcément éphémère. « Il y a un moment pour tout » nous dit l’Ecclésiaste, les moments sont interchangeables. Ironiquement, l’abréviation e’t, ayin tav, signifie en hébreu moderne « al tenaï » conditionnel, comme si l’instant ne nous était jamais vraiment donné.

L’autre mot pour dire temps est : zeman. Zeman signifie « invitation », c’est le temps sur la durée, le temps d’une vie. Comme si ce temps de vie qui nous est offert était une invitation à être et donc à construire un palais éphémère, mais aussi éternel, car au fond le temps nous échappe et reste une illusion.

Yeshaya Dalsace

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