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Comprendre le sens profond du livre d’Esther

Comprendre le sens profond du livre d’Esther

Conférence sur Akadem -

Livre historique ou parodie ? De qui se moque t-on dans ce carnaval juif ? Peut-on résoudre la question du mal par le rire ? Lire la Bible à l’ombre de la Shoa.

Le livre d’Esther est un des livres les plus surprenants de la Bible qui contient en lui des trésors extraordinaires et surtout qui soulève un questionnement sur la présence du mal dans le monde et plus particulièrement du mal absolu, de la volonté d’exterminer les juifs… Il faut donc prendre ce texte au sérieux et chercher à en comprendre le message caché.

Voici une conférence du Rabbin   Yeshaya Dalsace à écouter sur Akadem

http://www.akadem.org/sommaire/them...

ou ici directement :

http://www.massorti.com/son/cours/E...

telecharger ici

Explications sur cette conférence

Notre point de vue part du principe que le récit d’Esther n’a strictement rien d’historique.

Il est intéressant d’écouter également une autre conférence sur le même sujet mais qui cherche, elle, à montrer l’historicité possible du texte. En fait, elle dresse le décor historique dans lequel est placé le récit. Le rabbin   Claude Brahami, dont nous saluons la rigueur et l’ouverture, expose une série d’arguments pour permettre de croire néanmoins à l’historicité de ce récit.

En fait, en cherchant à répondre point par point à la question, il ne montre rien. Surtout, il ne traite nullement de l’exagération manifeste du récit qui nous semble-t-il ne croit pas lui-même à sa propre historicité, car tel n’est pas son propos, bien au contraire.

Il dit entre autres : « on ne peut pas imaginer qu’un noble juif porterait le nom d’une divinité païenne… ». Nous répondons, dont acte !

En voulant montrer l’historicité du récit, on se perd en conjectures pseudo-historiques et dans les méandres de la cour de Perse.

En cherchant absolument à raccrocher le récit à sa dimension « historique » improbable, on passe à mon avis totalement à côté du sens profond de ce récit qui parle de tout autre chose.

Il y a une grande différence entre le décor qui se veut vraisemblable et l’histoire elle même qui me semble-t-il parle de tout autre chose et historiquement reste invraisemblable.

Nous ne sommes donc pas du tout d’accord, le rabbin   Brahami et moi-même avec la nécessité de cette fragile démonstration.

La plupart des textes bibliques, tout comme celui d’Esther, n’ont pas un intérêt historique très fort, par contre, ils prennent tout leur sens dans une lecture symbolique et éthique.

Pour y réfléchir par vous-même, nous vous invitons à écouter également la conférence du rabbin   Brahami :

http://www.akadem.org/sommaire/them...

Ecouter également :

http://www.massorti.com/Cours-audio-sur-Pourim

Esther

Messages

Comprendre le sens profond du livre d’Esther

Bonjour Monsieur.

J’ai écouté votre conférence sur le sens caché de Pourim sur AKADEM avec grand intérêt.

Mais à la fin de votre intervention, je suis resté bouche Bé avec quelques points à éclaircir.

 Qui a donc écrit la méguila d’Esther ? Les sages   de la grande assemblée parait-il mais comment est ce possible sachant que le temple était détruit à l’époque de l’histoire de Pourim ?

 Pourquoi donc toute cette "fiction" aurait-elle été inventée avec des dates, etc... et pourquoi nous dit-on donc à la fin que tous ces faits sont inscrits dans les écrits de Perse et de Médie ?

 Qui sont donc Mordékhai et Esther si ce sont vraiment des personnages fictifs ? Il y a pourtant bien leur tombeau en Perse jusqu’à nos jours.

 Pourquoi dites-vous que Vashti n’est pas aimée par les rabbins   ? A mon souvenir on ne dit jamais Aroura Vashti à la fin de la lecture de la meguila..

Ou bien peut-être ai-je mal compris. Et en fait tous les faits sont corrects, mais seuls les chiffres ont été savamment amplifiés ?

Je remercie d’avance pour votre réponse (et suis conscient que vous avez certainement d’autres choses à faire plus intéressantes que me répondre...)

En tout cas sachez que votre conférence m’a passionné.

Cordialement,

B H

Réponse à Benjamin

Cher Monsieur,

Merci tout d’abord pour les compliments.

Je comprends que vous soyez un peu troublé par la thèse que j’avance. Elle ne correspond pas en effet aux explications habituelles. Il y aurait beaucoup plus à dire et à expliquer mais le cadre d’une conférence ne suffit pas. Je vais essayer donc de répondre à vos questions point par point.

- Qui a donc écrit la méguila d’Esther ?

La question se pose pour tous les textes bibliques et il est très difficile d’y répondre avec précision. La tradition juive (dans le Talmud  ) attribue un auteur, parfois plusieurs, à chaque texte. Avec tout le respect pour cette tradition, cela ne veut pas dire qu’elle est scientifiquement exacte. Le Talmud   attribue l’écriture du livre d’Esther à Mordehai… qui lui-même aurait été membre de la Grande assemblée. Les chercheurs trouvent dans le texte des influences grecques qui le situent beaucoup plus tard. Certains pensent même qu’il aurait été écrit en Israël contre les Grecs, mais placé en Perse pour faire diversion… Il n’y a donc aucune réponse précise à votre question. Dans le fond, cela ne change pas grand-chose. Personnellement, je suis croyant et je suis persuadé de la forte inspiration de ce texte. Ma thèse ne fait que le montrer.

- Pourquoi donc toute cette "fiction" aurait-elle été inventée avec des dates, etc... et pourquoi nous dit-on donc à la fin que tous ces faits sont inscrits dans les écrits de Perse et de Médie ?

Il est souvent beaucoup plus facile et efficace de faire passer un message par une fiction que par un récit historique. La grande majorité de la Bible n’est pas à proprement parler historique. Il en est de même pour les récits talmudiques. Cela ne veut pas dire que c’est faux historiquement. Tous ces récits se placent dans un contexte historique précis qu’il faut parfois chercher à comprendre. Mais le but principal de toute cette littérature n’est pas de nous enseigner l’histoire, cela n’aurait pas forcément grand intérêt. Le but est de nous enseigner une vérité profonde sur l’être humain est de nous faire passer un message spirituel et idéologique. Quant on étudie ces textes c’est à cela qu’il faut s’attacher. C’est là que résident leur éternité et leur beauté.

Dans le cas précis d’Esther, le fait de donner des dates, des chiffres, d’affirmer que cela est connu des Perses eux-mêmes, montre tout simplement que l’auteur cherche à faire croire à la véracité historique de son récit. Mais si l’on regarde bien, il ne nous donne aucun renseignement précis. D’ailleurs, aucun historien n’arrive à situer cet épisode dans l’histoire perse de façon exacte. Tout au plus, on arrive à donner le contexte. Je vous conseille pour cela d’écouter la conférence de Claude Brahami, également sur Akadem, qui cherche à prouver l’historicité, donc la véracité, du livre d’Esther. C’est une démarche complètement inversée à la mienne. Le problème est qu’il n’y arrive pas vraiment. Tout au plus, il parvient à redonner le contexte. Quant on rentre dans les détails du livre d’Esther, la description des banquets, la façon dont le roi se remarie, le décret lui-même d’extermination… il devient strictement impossible de défendre la véracité historique. Cela ne colle pas du tout avec ce que l’on connaît de la Perse.

Si vous prenez Shakespeare en exemple, vous trouverez également un contexte historique précis, mais Hamlet demeure un personnage de fiction, tout comme Macbeth ou encore Shylock… ce qui nous intéresse dans le théâtre de Shakespeare, ce n’est pas sa vérité historique, mais sa vérité humaine. C’est pourquoi Shakespeare reste éternel et génial.

D’un point de vue juif, nos textes nous apportent une ouverture sur une réalité et une vérité qui va au-delà des contingences de l’histoire. Le grand philosophe Emmanuel Levinas a très bien écrit là-dessus et de toute évidence n’aurait nullement été gêné par ma thèse. C’est pourquoi, on peut très bien être un rabbin   croyant et pratiquant tout en sachant très bien le caractère littéraire de nos textes.

Le propre de la littérature ésotérique, donc le propre des textes juifs, est de ne pas tout dire et de noyer le poisson. C’est au sage (tout comme celui de Pessah) de savoir décrypter… Le simple ou naïf (Tam), ou encore le dogmatique, comme il y en a tant de nos jours, ce qui est une forme de néo-naïveté et de simplicité, en restera au sens propre et donc pseudo historique.

La littérature juive est une littérature initiatique, seul celui, capable de traverser les épreuves (mentales) de l’initiation, arrivera au stade du sage… pour cela il faut faire un effort et briser toutes ses certitudes. C’est exactement ce que défend Maimonide   dans le Guide des égarés. La plupart resteront néanmoins au stade du Tam, tout simplement parce que aller plus loin leur fait peur. Ou encore, parce qu’ils sont trop paresseux pour étudier sérieusement.

Sur cette question, il faut lire Leo Strauss « La persécution et l’art d’écrire ». Je cite : « Un homme dont la pensée est indépendante peut exprimer publiquement ses opinions sans dommage, pourvu qu’il agisse avec prudence. Il peut même les faire imprimer sans courir aucun danger, pourvu qu’il soit capable d’écrire entre les lignes. »

C’est pourquoi également quand une orthodoxie   militante enferme le judaïsme dans une dogmatique en censurant le reste, elle trahit profondément celui-ci en croyant le protéger. C’est l’histoire du serpent qui se mort la queue. Le judaïsme mérite mieux que cela.

- Qui sont donc Mordékhai et Esther si ce sont vraiment des personnages fictifs ? Il y a pourtant bien leur tombeau en Perse jusqu’à nos jours.

Premièrement, ce sont des personnages qui ont peut-être existé. Je veux dire par-là, qu’il y a peut-être eu effectivement un sage juif haut placé à la cour de perse, tout comme une princesse juive. Peut-être que l’auteur du livre d’Esther s’est inspiré de ces personnages. Cela ne veut nullement dire que les personnages historiques correspondent exactement aux personnages littéraires.

Deuxièmement, il faut être très prudent avec la vénération des tombeaux. L’immense majorité des tombeaux vénérés ne correspondent à rien d’historique. On décrète un beau jour, des centaines d’années après l’existence du personnage, que telle vieille tombe anonyme est celle de tel sage qui effectivement a vécu dans les environs et la vénération de la tombe commence. Ensuite, on établit un beau mausolée… et jusqu’à aujourd’hui, des gens viennent en pèlerinage… Parfois on fait même des guerres au nom de telle tombe… Les exemples sont nombreux dans l’histoire. C’est le cas du tombeau de Jésus (en fait les Catholiques n’ont pas le même que les Protestants). C’est le cas du tombeau de David à Jérusalem. C’est le cas de la plupart des tombeaux de rabbins   en galilée.
Enfin, les noms d’Esther et de Mordehai, comme je l’explique dans la conférence, sont des noms de divinités perses. Peut-être que des juifs réels ont porté de tels noms, il y a d’autres exemples dans l’histoire, c’est cependant un peu cousu de fil blanc. Il me semble évident que les noms des personnages sont une des clés de lecture pour celui qui cherche à pousser la porte, procédé classique de l’ésotérisme.

- Pourquoi dites-vous que Vashti n’est pas aimée par les rabbins   ? A mon souvenir on ne dit jamais Aroura Vashti à la fin de la lecture de la meguila..

Ma conférence ne repose pas du tout sur le Midrash  . Ce serait une autre conférence et une étude en soit, très intéressante par ailleurs. Les sages   du Midrash   chargent en effet la pauvre Vashti de tous les maux et la font mettre à mort. Ils la comparent à Athali et Isabel (odieux personnages féminins du livre des Rois). On lui attribue même une queue (comme le diable, comme Lilith, la femme diabolique de la création…). On lui refuse tout crédit de pudeur pour expliquer son refus de venir danser devant le roi et ses amis. Bien entendu on ne la maudit pas, contrairement à Zeresh, la femme d’Hamman, elle n’a jamais voulu faire de mal aux juifs. Je lui trouve personnellement de la sympathie parce qu’elle exprime une voix féminine qui refuse de se laisser réduire à être un objet sexuel (contrairement à Esther d’ailleurs, ce qui gêne peut-être les rabbins   du Midrash   et les poussent peut-être a chargé son cas).

Ou bien peut-être ai-je mal compris. Et en fait tous les faits sont corrects, mais seuls les chiffres ont été savamment amplifiés ?

Je pense personnellement que nous sommes face à une fiction absolue, ce qui rend ce texte d’autant plus passionnant. S’il s’agissait seulement d’une exagération et de chiffres traficotés… nous serions face à un livre de propagande qui ne mériterait donc nullement d’être lu avec une telle solennité. Je pense même que les chiffres ont une symbolique qu’il faut saisir. Je ne vois, personnellement, aucun intérêt à défendre l’historicité d’un tel texte. Nous ferions la fête alors que tant de « Mordehai » et d’Esther ont fini dans une chambre à Gaz ? Alors que si le sujet est une lutte mythologique contre le mal ; il faut faire la fête plus que jamais.

Conclusion :

Dans ma conférence je n’ai pu qu’effleurer le sujet qui va beaucoup plus loin et dont les conséquences théologiques sur la question du mal vous surprendraient…

Le judaïsme n’est pas une religion simple et encore moins une religion pour simples d’esprits. Il ne faut pas avoir peur d’aller au fond des textes.
En ce qui concerne pourim, les rites eux-mêmes vont dans le sens de ce que je développe.

On se trouve face à la problématique du rire qui est une question des plus sérieuses (voir Bergson) comme arme possible face au mal. Rien de plus juif que cela.

Je vous remercie pour vos questions, continuez à oser en poser et à chercher, vous découvrirez dans la tradition juive des trésors inestimables. Ne vous laissez jamais enfermer dans le dogmatisme. Bonne étude.

Cordial Shalom

Yeshaya Dalsace

Réponse à Benjamin

Merci pour cette longue réponse, je ne m’attendais pas à ce que vous répondiez si rapidement et avec tant de détails.

Mais pourquoi alors une telle fiction aurait-elle été entourée d’autant de règles par rapport à sa lecture ?

Bérakha avant et après, texte à écrire absolument sur parchemin pour être casher  , bien écouter chaque mot faute de ne pas être acquitté, etc.... Sur ce dernier point d’ailleurs, la lecture de la meguila est encore plus stricte que pour la lecture de la Thora.

Tout cela pour faire du rire et de la dérision une valeur suprême ?

Il est écrit que dans les temps messianiques, pourim sera encore célébrée contrairement aux 3 fetes de pelerinage (je ne sais pas si c’est une image ou si c’est à prendre au pied de la lettre). Cela irait dans le sens de votre théorie, à savoir que le rire est au dessus de tout et ne sera jamais dissocié de la pratique des mitsvots ?

Bien d’autres questions encore à vous poser, mais je ne veux pas vous monopoliser.

Kol touv

BH

Réponse à Benjamin

Vous touchez là justement à une autre clé fondamentale. Si véritablement la question était historique, pourquoi s’entourer de temps de cérémonial ? Doit-on prendre tant de précautions pour lire le livre des Rois ?

Il me semble évident que la Méguila forme une sorte de seconde Tora. Celle de la nuit ! Elle vient comme un carnaval de la Tora… comme une farce en effet. Mais c’est extrêmement sérieux.

Il ne faut pas oublier que le but ultime n’est pas de faire rire. Le rire n’est qu’un instrument. Le but est de parler d’un sujet fondamental qui est la lutte contre le mal absolu. La Tora elle-même, s’occupe de cette lutte, mais d’une autre manière. Elle est liée au jour, pas à la nuit…

Même dans les rituels des cadeaux de nourriture et de don aux pauvres, cela va dans le même sens. Tikoun Olam et questionnement (qui a envoyé le cadeau ? Car il est interdit de le donner directement).

L’idée exprimée dans le Talmud   que seule pourim subsistera aux temps messianiques n’est pas très facile à comprendre. Je ne crois pas que la question soit le rire, surtout pas celui de la Méguila qui est très lié à la moquerie, chose interdite a priori dans le judaïsme. Je crois plutôt que c’est l’idée de l’inversion des choses qu’il y a dans pourim ainsi que l’idée de vaincre définitivement le mal.

Là encore, cela n’aurait pas grand sens de continuer à commémorer un fait historique aussi lointain alors que d’autres fêtes disparaîtraient.

On retrouve la même idée dans le jeu de mots « comme pourim » pour parler de Kippour qui représente les valeurs absolument inverses de celles de pourim en apparence, mais qui dans le fond sont intimement liés… motif du jeûne, de l’inversion du mal, voire même du ridicule de Dieu dans l’histoire de Jonas (ce pourquoi celui –ci refuse sa mission car il refuse que Dieu soit ridicule).

J’espère bien que dans les temps messianiques ce sera la franche rigolade ! Comme cela est exprimée dans le psaume 126 qui parle d’ailleurs d’un rire très subtil.

Ce qui est sûr, c’est que les mitsvot ne prennent véritablement leur sens que dans la joie, שמחה של מצווה.

Il est difficile de répondre à tout cela par correspondance, il faut étudier et réfléchir tout en ayant conscience que l’on n’a jamais tout compris. C’est pourquoi ma réponse n’est pas définitive et encore moins exclusive…

Vous pouvez poser toutes les questions que vous voulez, je ne promets pas de répondre immédiatement, mais j’essaierai de le faire, si je le peux.

Yeshaya Dalsace

Savoir boire modérément

J’ai beaucoup apprécié votre conférence « Regard sur Pourim - Fête, festin et farce ».

Vous avez mis en valeur le contraste entre Wachti, qui occupe au début de la Meguila une position de premier plan et qui est ensuite « cachée », et Esther, dont le nom symbolise ce qui est « dissimulé », et qui va ensuite se trouver aux avant-scènes du récit biblique.

Permettez-moi une remarque à ce sujet :
Selon la Guemara (Meguila 10b), Wachti était la petite-fille de Nabuchodonosor. Peut-être peut-on dire par conséquent, dans le même esprit, que son effacement symbolise celui des Chaldéens qui, sous Balthazar, ont été évincés par les Perses.

Vous avez également mis l’accent sur l’obligation, à Pourim, d’absorber jusqu’à l’ivresse des boissons alcoolisées.

Cette obligation ne repose, en réalité, sur aucune donnée halakhique.
Le peuple juif a toujours manifesté de la répulsion envers l’ivrognerie. De nombreuses sources en témoignent : Les chapitres 9 et 19 de Berèchith rendent compte des méfaits de l’état d’ivresse où se sont trouvés Noé et Lot. Le livre des Proverbes (23, 30 à 35) décrit les ravages que peut causer le vin. Selon le Midrach   , c’est parce qu’ils étaient ivres que Nadav et Avihou ont perdu la vie lors de l’inauguration du Tabernacle   (Wayiqra rabba 20, 9), et « il n’est rien comme le vin qui soit pour l’homme cause de gémissements de malheur » (Sanhédrin 70b).

Et pourtant, nous apprenons dans la Guemara : « Un homme a l’obligation libesoumei à Pourim jusqu’à ne plus savoir (ad de-lo yada’) [la différence] entre : « Maudit soit Haman ! » et : « Béni soit Mardochée ! » (Meguila 7b).

La traduction la plus communément répandue du mot libesoumei est : « boire jusqu’à atteindre un état d’ébriété ». C’est à partir d’elle que s’est répandue l’habitude observée par beaucoup de Juifs de boire à Pourim jusqu’à l’ivresse.

Mais cet usage donne souvent lieu à des
débordements regrettables, et ceux qui croient accomplir une mitswa en buvant jusqu’à l’ivresse pendant Pourim en arrivent parfois à compromettre leur propre dignité, et plus grave, celle de la Tora. De l’exécution d’une mitswa à un ‘hilloul Hachem , il n’y a qu’un pas, et nombreux sont malheureusement ceux qui le franchissent Certains commentateurs, comme le Qorban Nethanel , le Kol bo (Hilkhoth Pourim 45), et d’autres encore, font remarquer à ce sujet que la Guemara n’emploie pas le mot : le-hichtakèr , qui serait seul approprié s’agissant de l’ivresse due à l’alcool, comme dans Berèchith 9, 21 où il est question de l’ébriété de Noé (wayichkar : « il s’enivra »), ou comme dans II Samuel 11, 13 (wayechakerèhou : « [David] enivra [Urie] »).

Il convient par ailleurs de remarquer que l’on trouve à plusieurs reprises dans la Guemara (Souka   51a, Meguila 32a, ‘Avoda zara 47a, ‘Arkhin 11a) l’expression : libesoumei qala , dans le sens de :
« adoucir la voix ».

Ces exemples prouvent à l’évidence que le mot libesoumei ne comporte pas d’emblée de connotation « éthylique ».

Aussi bien, les rabbins   se sont-ils efforcés depuis les époques les plus lointaines de modérer, le jour de Pourim , les ardeurs des consommateurs de boissons fortes.

Rabbeinou Efrayim (Algérie – Xiè et XIIè siècles) propose une interprétation intéressante du passage de la Guemara Meguila cité ci-dessus :

Immédiatement après avoir posé la règle qui ordonne de « s’enivrer » à Pourim, le texte raconte que Raba avait une fois invité rav Zeira à consommer avec lui le repas de cette fête. Etant dans un état d’ivresse avancée, il prit un couteau et égorgea son hôte. Lorsqu’il eut cuvé son alcool, Raba se rendit compte de ce qu’il avait fait. Il supplia Hachem de rendre la vie à rav Zeira, et il fut exaucé.

L’année suivante, nouvelle invitation de Raba à rav Zeira. Celui-ci la déclina cependant, en déclarant qu’il ne pouvait pas compter sur un nouveau miracle.

Pourquoi ce récit, se demande Rabbeinou Efrayim , fait-il immédiatement suite à l’énoncé de la mitswa qui veut que nous buvions à Pourim ? C’est pour nous montrer, répond-il, que cette mitswa est dangereuse et qu’il ne faut pas la prendre au pied de la lettre. Nous avons certes le devoir de consommer des boissons fortes, mais avec modération.

Le Maharal de Prague explique que l’objectif que nous devons chercher à atteindre le jour de Pourim est la sublimation de notre nature matérielle.

Lorsque Haman a décidé d’exterminer les Juifs, il n’a pas distingué ceux qui croyaient en Hachem de ceux qui ne Lui étaient pas fidèles. C’est l’existence physique du peuple juif qu’il ne pouvait pas tolérer. Aussi a-t-il ordonné de le massacrer entièrement, sans aucune discrimination entre ceux qui le composaient. Cette « matérialité » du génocide ordonné par Haman a eu pour effet de rendre la fête de Pourim également tournée vers le matériel : repas et consommation de boissons fortes, activités étrangères à nos dimensions intellectuelles. Nous devons nous efforcer, ce jour-là, de fonctionner comme des êtres physiques, au point de ne plus pouvoir distinguer entre : « Maudit soit Haman ! » et : « Béni soit Mardochée !
 »

Quant à la mise en pratique de la mitswa , la plupart de nos grands codificateurs (Rambam   , Hilkhoth Meguila 2, 15 ; Choul‘han ‘aroukh Ora‘h ‘hayim 695, 2 ; Michna   beroura ibid. ; ‘Aroukh ha-choul‘han ibid.) prônent la modération.

Le ‘Hayyei adam , cité par le Biour halakha   (692, 2), estime que « si l’excès de boissons consommées à Pourim risque de compromettre une autre mitswa , comme la récitation de Birkath ha-mazone , celle de Min‘ha ou de Ma‘ariv , ou de conduire à un comportement grossier, mieux vaut ne rien boire du tout ».

Selon Rema (Choul‘han ‘aroukh Ora‘h ‘hayim 695, 2 – voir aussi Kitsour Choul‘han ‘aroukh 142, 6), il faut boire plus que d’habitude afin de se souvenir du grand miracle qui a eu lieu à Pourim , puis on doit s’endormir. Une fois plongé dans le sommeil, en effet, on devient incapable de distinguer entre
 : « Maudit soit Haman ! » et : « Béni soit Mardochée ! » Contrairement aux apparences, il n’est nullement recommandé de s’enivrer à Pourim.

Votre dévoué.

Jacques KOHN.

Savoir boire modérément

Cher M.

Permettez-moi d’abord de vous remercier pour vos compliments qui me touchent venant d’un érudit comme vous.

Vos remarques sur l’abus d’alcool sont tout à fait pertinentes et notamment au niveau pratique « halakha   lemaassé ». Tout comme vous, je trouve assez déplorable l’exploitation qui est parfois faite de pourim pour se soûler à bon compte et surtout avec bonne conscience.
L’idée importante qui demeure néanmoins et celle de la confusion. Votre interprétation de « lehitbassem », très intéressante et que je retiens, va en ce sens. Je dirais même qu’elle est encore plus forte. Car au bout du compte, il ne s’agit pas de la confusion d’un ivrogne, mais bien de la capacité, tout à fait lucide, d’inversion du sens d’un mystique, ce qui est quelque peu différent !

Je me permettrais néanmoins une remarque sur le plan historique. Il me semble que pourim, correspondant au carnaval, avec tous les débordements que cela sous-entend, a été récupérée par les sages   et judaïsée. (Tout comme hanouka par ailleurs). Dans cette optique, il me semble tout à fait logique que nos sages   aient cherché à réguler les débordements populaires qui sont en effet totalement contraires à l’esprit du judaïsme. Avoir réussi à kashériser le carnaval, fête païenne par excellence et lui donner un sens mystique totalement juif, me semble marquer le génie profond de nos sages  .

Merci encore pour vos judicieuses remarques qui méritent d’être mise en ligne, dont acte.

Yeshaya Dalsace

Savoir boire modérément

Bonjour,

Vous déclariez : "Enfin, les noms d’Esther et de Mordehai, comme je l’explique dans la conférence, sont des noms de divinités perses. Peut-être que des juifs réels ont porté de tels noms, il y a d’autres exemples dans l’histoire, c’est cependant un peu cousu de fil blanc. Il me semble évident que les noms des personnages sont une des clés de lecture pour celui qui cherche à pousser la porte, procédé classique de l’ésotérisme."

Il me semble pourtant que la guémara houlin (139b) établit le sens et l’origine des prénoms de la méguila : mordekhai = mor deror donc correspond un un encens, ce qui s’accorde parfaitement avec esther appelée hadassa , encens également.

Je ne vois pas en quoi votre interprétation des prénoms pourrait ne faire que mettre un soupcon de doute sur celle du talmud   ?

Etymologie et Talmud

Votre remarque est juste.

Pour des quantités de noms et d’expressions la Talmud   donne son interprétation « étymologique », ce qui est toujours bien entendu intéressant et surtout ouverture de sens.

Cependant c’est rarement de l’étymologie au sens scientifique du terme et très souvent le Talmud   fait plus un jeu de mot qu’une étymologie, jeu de mot cherchant à défendre une certaine idée. C’est le cas ici, en cherchant à montrer la grandeur du personnage de Mordekhai, sa pureté.

De façon générale, il ne faut pas perdre de vue que le Talmud   n’est pas un ouvrage objectif et cherche toujours à défendre un certain point de vue. Son point de vue est important pour nous mais ne saurait bloquer la réflexion.

L’exemple ici est flagrant, le Talmud   veut « hébraïser » Mordekhaï. L’idée qu’il porte le nom d’une divinité païenne est choquante pour le Talmud  .

Pour lui Mordekhaï est un personnage réel et l’histoire d’Esther a bien existé. Notre hypothèse est absolument inverse.

L’étymologie proposée dans Houlin cherche avant tout à montrer que Pourim était en allusion dans la Tora en faisant ce jeu de mot, le Talmud   cherche à montrer que la Tora est la source de tout et que Pourim est une fête légitime. Cela dit l’idée de « parfum pur » Mor dakay est très intéressante et n’annule pas celle de Mardouk.

Vous vous posez peut-être la question de savoir si nous avons le droit de contredire le Talmud   (ou de proposer une autre piste que la sienne) ? Je répondrai assurément. Nous devons penser et utiliser tous les moyens à notre disposition pour cela et ne pas nous laisser « enfermer » dans le Talmud  , sans le renier pour autant, bien au contraire.

Un sens n’en efface pas un autre. L’ensemble forme la trame de ce que nous sommes.

Bien à vous et merci.

Yeshaya Dalsace

Comprendre le sens profond du livre d’Esther

Vous allez vous demander, " Mais de quoi se mèle t’il celui la ?" En effet, je suis chrétien catholique. Cependant, je me suis inscrit dans un groupe de lecture suivie de la bible sur deux ans. C’est forcément insuffisant, mais cela évite de se perdre seul dans des textes dont l’abord en déroute plus d’un.
Pour la session prochaine, nous devons lire le Livre d’Esther. d’emblé le récit m’est apparu, non comme historique, mais volontairement construit afin d’illustrer un propos religieux. Après l’annonce de la volonté d’Aman de faire promulguer partout un texte ordonnant l’extermination des Juifs ( Cela m’a fait froid dans le dos), tout semble perdu. Mardochée et Esther adressent leur prière a Jahvé. Dieu ne reste pas insensible face au péril qui menace son peuple, mais sa façon d’agir est discrète et efficace. Non, jahvé ne suscite pas une rebellion armée, précédé d’un ange ou de la nuée.
il lui suffit pour cela, d’empécher le roi Assuérus de trouver le sommeil ! Quoi de plus banal. A partir de là tout s’enchaine, jusqu’au retournement total de la situation. Et le sort qu’aman réservait aux Juifs et à Mardochée se retourne contre lui.
N’est ce pas là une leçon nous montrant que Dieu n’agit pas comme nous pourrions nous y attendre ? Un message d’encouragement à espérer même si tout semble perdu ? Pour les Chrétien, la vertu de l’espérance est indissolublement liée à la foi. Comment les Juifs comprennent ils ce passage ? Et douloureuse question ( vous n’êtes pas forcé de me répondre) de l’épreuve de la Shoa est il sorti quelquechose de positif ou cela reste il un désastre inexplicable ?
Vous remerciant
Gérard

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