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Un catholique en quête de racines juives

Un catholique en quête de racines juives

Voici le témoignage d’une démarche personnelle à la découverte de la réalité juive par un catholique en recherche, vers la source.

De la soif à la source

L’existence de Dieu qui nous a créés et qui nous aime a toujours été pour moi une évidence. Ayant grandi dans la religion catholique, il m’était aussi évident que cette religion était le seul moyen de connaître Dieu. Je lui parlais en l’appelant « Seigneur », ce qui signifiait pour moi à la fois Dieu et Jésus. Dieu était beau et sa religion -ma religion- était belle. Bref, durant mon enfance tout était simple.

Une disparition angoissante

Vers quinze ans je me suis acheté une Bible, La Bible de Jérusalem (version la plus répandue chez les Catholiques). Je l’ai lue en entier. J’ai beaucoup aimé l’Ancien Testament. J’ai aimé lire l’histoire du peuple hébreu. J’ai aimé les Proverbes, les Psaumes, le Cantique des cantiques. J’ai aimé les prophètes, les histoires de Judith, Tobie, Esther… Je trouvais que cette première partie de la Bible m’éclairait Jésus. Cela m’aidait à comprendre sa personnalité, sa manière de penser, sa mentalité. Je découvrais sa culture, je me familiarisais avec l’esprit de son peuple, son esprit. Dans les Evangiles et les Actes des Apôtres, je ressentais la même chaleur, comme une suite et un épanouissement de ce qui avait précédé. Cependant, ensuite, deux choses m’ont gêné.

D’abord, dans les Lettres (Epîtres) du Nouveau Testament, je n’ai pas retrouvé l’esprit de l’Ancien Testament, comme si l’esprit de Jésus s’était dissipé. Dans ces Lettres je ne voyais que des réflexions intellectuelles, des conseils moralisants. Il n’y avait plus vraiment d’histoires de vies, c’était devenu froid. J’en ai à ce moment là voulu à Paul parce qu’il avait, me semblait-il, déformé le message de Jésus, perdu son esprit.

Et puis, la deuxième chose qui m’a perturbé, c’est le changement entre le Dieu de l’Ancien Testament et le Dieu du Nouveau Testament. Dans la première partie de la Bible, Dieu s’appelait « Yahvé » ; et après, dans la seconde, ce nom avait disparu. Je ne saisissais pas la transition. Est-ce que le Dieu de l’Ancien Testament avait été remplacé par Jésus ? Non puisque Jésus parlait de Dieu son Père. Alors pourquoi dans le Nouveau Testament Dieu ne s’appelait plus comme dans l’Ancien ? Pourquoi avait-il changé de nom ? Le Dieu ancien avait-il été remplacé par un nouveau ? Ou le Dieu universel avait-il pris la place du Dieu du peuple juif ? Cette disparition du Dieu de l’Ancien Testament m’angoissait.

Personne autour de moi ne pouvait me rassurer, m’expliquer. Je trouvais que ma religion n’était plus cohérente. J’y avais découvert une sorte de faille. C’était comme si tout le reste était devenu branlant. Ce Nom de Dieu disparu, c’était comme s’il manquait à l’édifice la clé de voute. Ce en quoi je croyais ne m’inspirait plus confiance.

Dieu cependant restait pour moi le même. La confiance que j’avais en Lui demeurait intacte. Mais l’Eglise catholique ne m’apparaissait plus sécurisante. J’avais l’impression qu’elle me trompait. Malgré cela, elle ne s’est jamais écroulée en moi. Je la considérais comme un outil défaillant mais un outil indispensable. Sans l’Eglise, comment aurais-je pu lire la Bible ? Sans l’Eglise, comment être relié à Dieu ? La religion est un intermédiaire entre Dieu et nous. Sans elle nous cherchons Dieu de façon intuitive et nous nous égarons facilement. Je sentais bien que j’avais besoin de ce cadre, de ce mode d’emploi, de cette carte routière avec des guides et des compagnons de route. Mais je pensais que Dieu n’était pas seulement dans l’Eglise.

Caché dans l’âme d’un peuple

Après le baccalauréat j’ai commencé des études de philosophie. Parmi tous les auteurs, c’est Nietzsche qui m’a le plus « accroché ». J’avais l’impression qu’il s’était posé les mêmes questions que moi. Il me semblait qu’il avait eu un bel idéal du christianisme et qu’il avait été déçu. Je me sentais proche de ses questions mais pas de ses réponses. Je voyais que son désespoir conduisait à la mort.

Je m’étais alors inscrit à des cours d’arabe et d’hébreu. Ces deux langues m’attiraient. En hébreu, l’enseignante nous apprenait à aimer les mots, leur sonorité, leur polysémie, leurs racines. Parfois elle nous parlait de sa culture, de son pays. Je découvrais ainsi un monde à la fois nouveau et étrangement familier : cette atmosphère correspondait à celle que j’avais ressentie en lisant l’Ancien Testament. Cela m’a donné envie d’en savoir plus.

J’ai décidé de continuer l’hébreu et j’ai pu ainsi rencontrer plusieurs enseignants, tous israéliens et peu religieux, voire athées. Pourtant, même s’ils ne parlaient pas de Dieu, je ressentais à travers eux quelque chose de Dieu. C’est difficile à expliquer parce que c’était comme un sentiment, une sensation. C’est un peu comme si, dans l’âme d’un peuple, j’avais retrouvé la trace de Celui que je cherchais.

Environ deux ans après cette découverte décisive, j’ai fait une rencontre -elle aussi décisive- avec quelqu’un qui avait la même préoccupation que moi et avait déjà beaucoup avancé sur le sentier encore si peu exploré des relations entre Juifs et Chrétiens. J’avais un peu plus de vingt ans et mon grand-oncle presque quatre-vingt-dix quand nous avons commencé à nous rapprocher. Prêtre et missionnaire, il avait vécu dans différents endroits de France et du monde avant de se reposer à Grenoble tandis que je commençais dans la même ville des études d’espagnol. Auparavant il venait une fois par an rendre visite à notre famille mais je ne l’avais jamais entendu parler de son intérêt pour le judaïsme. Quand nous nous sommes rendu compte que nous avions la même attirance spirituelle, nous avons pu échanger souvent sur ce sujet. Il m’a encouragé à poursuivre mes tâtonnements et m’a éclairé pour éviter au mieux les embûches. Un livre qu’il m’a offert m’a profondément marqué : « L’amour fort comme la mort » d’André Chouraqui. Cette autobiographie d’un homme juif ouvert au christianisme et à l’islam m’a enthousiasmé. Je ne me sentais plus seul. Je savais que d’autres avaient la même soif que moi.

Le goût de la source

Mon premier professeur d’hébreu nous avait parlé du kibboutz. Noam Chomsky disait qu’avec les villages collectifs apparus durant la guerre civile espagnole, c’étaient les seuls lieux au monde où s’était concrétisé l’idéal de vie communautaire. J’ai donc fait le projet d’aller en Israël connaître la vie dans un kibboutz.

Au cours des démarches pour y devenir volontaire j’ai appris ce que signifie -dans un sens péjoratif- le mot « goy   » (qui peut aussi avoir un sens neutre). Je veux dire que j’ai connu le mépris de la part de Juifs qui se sentaient supérieurs à ceux qui ne le sont pas. Cela ne m’a pas découragé mais, au contraire, stimulé. Dans mon village des Alpes, nous avons nous aussi un mot pour désigner ceux qui ne sont « pas de chez nous ». Même ceux du village voisin sont parfois perçus comme des étrangers parce qu’ils ne parlent pas exactement comme nous, parce qu’ils n’ont pas tout-à-fait les mêmes codes. Aussi, souffrant à mon tour de cette sorte de discrimination, j’étais compréhensif ; j’éprouvais non pas de la haine mais de l’amertume.

Dans le kibboutz où j’ai travaillé, au cœur du Néguev, les intuitions que j’avais eues en France se sont confirmées. C’était tangible : Dieu était sur cette terre « plus » présent qu’ailleurs. Et, dans les gens je ressentais fortement ce que j’avais ressenti en lisant la première partie de la Bible et les Evangiles : l’esprit de Jésus était vraiment perceptible dans ce peuple. J’en avais la certitude alors que je n’avais pas encore véritablement approché le judaïsme.

C’est pourtant dans ce même kibboutz laïc que j’ai découvert le shabbat. C’était un shabbat sans pratique religieuse. Les jeunes allumaient des bougies le vendredi soir au coucher du soleil et tout s’arrêtait. On restait tout le samedi à la maison, sans travailler, sans se déplacer. On passait ce jour de congé à échanger entre voisins, à s’inviter. C’était vraiment chaleureux et je trouvais agréable d’avoir un jour complet pour la convivialité et rien d’autre.

Depuis ce kibboutz du Néguev je suis allé à Jérusalem, chez des amis juifs religieux. J’ai alors vécu un vrai shabbat. Cela a été le jour le plus intense de ma vie. A la synagogue mon ami m’expliquait tout pendant l’office. J’y ai vu, émerveillé, d’étonnantes similitudes avec la messe. Et pendant le repas du vendredi soir cela a été encore plus fort : la mère de famille qui allume les bougies, le père qui, à table, bénit le vin et le pain, les enfants qui chantent… Je buvais la lumière dont j’avais eu soif. Les correspondances avec le christianisme étaient visibles ; je me sentais chez moi.

Ce qui m’a beaucoup plu pendant le repas du shabbat, c’est la manière d’enseigner la Bible avec des questions/réponses entre parents et enfants. La pédagogie de la transmission de l’histoire et de la religion d’Israël m’a fasciné. C’était si peu intellectuel et tellement vivant, sensible, comme si tout passait par le geste et par le cœur. Et quand ils parlaient de Dieu (en dehors de la prière), ils ne le nommaient pas. Ils disaient « Lui » avec l’index pointé vers le ciel. Et un infini respect. J’avais trouvé dans cette façon de parler de Lui la réponse à toutes mes questions.

Désormais j’avais retrouvé la trace du Dieu disparu, j’avais ressenti la mentalité de Jésus, son esprit. J’avais bu à la source et ne pouvais plus m’en passer. Il fallait donc que je garde un lien avec le peuple où Dieu s’était caché. Comment faire ?

Je n’avais pas à me convertir au judaïsme comme le faisaient les nouveaux Chrétiens non juifs au tout début du christianisme. Cela aurait été absurde. Mais dans ma religion, je ne sentais pas sa Présence comme je la ressentais à l’intérieur de son peuple. Grâce au contact avec le judaïsme et le peuple juif, le christianisme avait repris pour moi tout son sens. J’avais trouvé la clé de voute, le chaînon manquant, il n’y avait plus de faille. L’âme juive avait redonné vie à mon christianisme. J’avais envie de partager ma joie et de continuer à boire cette sève. Mais comment partager un bonheur, un goût, un esprit ?

L’Eglise catholique n’est pas encore imprégnée de judaïsme… Elle en a peur. Pourquoi ? Heureusement, Jean Paul II et Benoît XVI ont bu à cette source. Ils savent que le judaïsme éclaire le christianisme. Mais l’Eglise est comme un végétal : elle a un rythme qu’on ne doit pas perturber. Comme une plante qui pousse, elle creuse de plus en plus profondément dans la terre. C’est grâce à la sève qui monte de ses racines que l’Eglise va peu à peu ruisseler non plus de ruisseaux mais de « fleuves d’eau vive ».

Pierre

Messages

Un catholique en quête de racines juives

bonjour,
Ton texte est très bien. Je retrouve Pierre que je connais. Tes idées reflètent les miennes, comme nous avons l’occasion d’en parler. Je souhaiterai participer à des sabbath et à des fêtes juives chez les Massorti   à Marseille. Est-ce possible ?
merci
Lucette

Un catholique en quête de racines juives

|[/Bonjour Pierre, j’ai découvert aussi que Jésus appartenait au peuple hébreu et était juif, au cours d’un pélérinage catholique en Israel, en silence, sur tous les lieux saints.
La plupart de ces lieux sont sacrés pour les trois religions monothéistes. Cela donne déjà du sens dans la quête des racines.
Sur les lieux identifiés de la vie publique de Jésus, j’ai perçu son enracinnement et la force de son expérience et de son message. Cette perception fut fondamentale dans ma vie intérieure.
Il est exact que dans certains écrits de l’évangile,les auteurs ont de tout autres projets, et sont loin des intuitions de ce Jeshua.Ils ont bâti une Eglise.
C’est dans le silence, dans le non-dit, que l’on entre en communion avec la force vitale expérimentée par Jésus, totalement héritier de sa tradition et totalement libéré des pratiques socio-politico-religieuses de son époque. C’est dans l’intériorité que l’on peut vivre l’absolu de l’amour, force créatrice créant dans le même instant tout l’homme et tout Dieu.Toutes les religions expriment cette intuition fondamentale et donnent plus ou moins de méthodes pour parvenir à quelque chose de cette intuition. Celle-ci fait vivre l’homme nouveau, débarassé de ses vieilles peaux.Hélas, sorti de cet état, il est difficile de bâtir sociétés,communautés,qui vivent de cet absolu.L’intuition de Jésus,fils de Dieu et frère de tous les Hommes.L’intuition des hébreux qui firent alliance avec Celui dont on ne prononce pas le nom et qui nomme chacun d’entre nous.

Un catholique en quête de racines juives

C’est une excellente démarche mais cela commence à faire longtemps que l’Eglise a compris sa source et ses racines et même j’irais jusqu’à dire l’unité dans la continuité judéochrétienne par le Christ lui même ,juif parmi les juifs qui a seulement dépassé cet état par sa dimension divine et sa libération des hommes.Non seulement Jean Paul II et Benoît XVI ont parfaitement compris mais le Cardinal Lustiger que Jean Paul II a su déceler par sa prière l’a également incarné dans une unité logique parfaite.

Un catholique en quête de racines juives

Bonjour Pierre,
Je trouve original de répondre à ton témoignage déposé sur un site juif pour te dire que cette démarche de recherche et d’approfondissement des racines juives du christianisme existe bien dans l’Eglise, et dans son expression particulière qu’est l’Eglise catholique romaine. C’était le souci de Jean-Marie Lustiger, duquel est né un petit groupe se réunissant sur Paris, et qui se propose une fois par mois, de passer un moment pour partager nos questions et nos émerveillements. Si la chose t’intéresse, et ce, sans obligation aucune, contacte-moi.
Amicalement.
Michel
b.michel71@yahoo.fr

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