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Commentaires de la parasha Vayigash

Commentaires de la parasha Vayigash

Le sujet principal de la fin de Bereshit est la réconciliation entre les frères, enfants de Jacob et la capacité de ceux-ci à constituer un peuple.

La clef de l’existence d’Israël tient à cette capacité intégrative de frères au caractère et aux opinions différents. Le miracle de l’existence d’Israël tient à ceci : parvenir à créer une fratrie unie et pluraliste. Aucun des douze frères ne ressemble à l’autre, chacun a son centre d’intérêt et son cheminement intérieur, pourtant ils forment tous ensemble une seule entité unie et fraternelle.

Pour nous aujourd’hui, la symbolique est claire : le Judaïsme doit savoir trouver son unité dans le pluralisme. Le Judaïsme ne peut être une machine idéologique à fabriquer du même et de l’idéologie dogmatique, mais le lieu de l’acceptation de l’autre.

Hélas, le Judaïsme français en est encore loin et n’a que peu la culture de la pluralité juive. Le propre du mouvement Massorti   français est de promouvoir le message à la base de l’existence du peuple d’Israël : ouverture et rejet du dogmatisme. C’est le message du livre de Bereshit, c’est celui du mouvement Massorti   et c’est l’enjeu d’un avenir dynamique pour le Judaïsme français. A nous d’incarner et de savoir faire passer le message.

Yeshaya Dalsace

Fraternité

L’ensemble du livre de la Genèse peut être lu comme un récit de la fraternité ratée, puis lentement et patiemment réparée. Cela commence par le meurtre d’Abel par Caïn - qui pousse ainsi jusqu’à ses conséquences ultimes la manducation de l’arbre du connaître par ses parents -, et cela finit par la reconnaissance et le pardon entre Joseph et ses frères. Et l’histoire humaine continue à hésiter jusqu’à aujourd’hui entre ces deux configurations.

La visée narrative de la Bible est claire : elle nous propose d’abandonner l’un pour viser l’autre, de tourner le dos au meurtre pour construire patiemment les conditions de la réconciliation. Or notre parachah nous apprend à ce niveau quelque chose de tout à fait fondamental. La reconnaissance de Joseph par ses frères ne devient possible qu’à un moment bien précis, celui où Judah s’avance pour empêcher la mise en esclavage de Benjamin et prononce les paroles suivantes devant Joseph, qu’il prend pour un égyptien : « Car ton serviteur s’est porté responsable de l’enfant (Benjamin) devant mon père en disant : « Si je ne te le rapporte pas, je serai fautif devant mon père tous les jours ». Et maintenant s’il te plaît, que ton serviteur devienne esclave de mon seigneur à la place de l’enfant, et que l’enfant puisse monter avec ses frères. Car comment monterais-je vers mon père alors que l’enfant n’est pas avec moi, et comment pourrais-je voir le mal qui tombera sur mon père ? » (Genèse 44, 32-34). C’est à ce moment précis dit le texte, que « Joseph ne put plus se retenir (…) et il dit à ses frères : « Je suis Joseph, mon père vit-il encore ? » (Genèse 45,1-3).

Le dénouement de la violence fraternelle et la reconnaissance entre frères ne deviennent donc possibles que lorsque les frères – ici représentés par Judah – se considèrent désormais responsables les uns des autres devant leur père – que ce soit leur père réel, ou leur père céleste. Responsables au point d’être prêts à devenir otages à la place de leur frère, d’être prêts à subir à sa place l’injustice qui risque d’être commise à son encontre. Ce témoignage de fraternité par la responsabilité est ce qui dénoue l’histoire des frères et leur permet de dépasser la violence et de s’ouvrir au travail de la reconnaissance. Ce n’est donc pas un happy end, mais un happy beginning… Désormais la fraternité va pouvoir se construire dans la responsabilité, plutôt que de se détruire dans la compétition et le conflit. Nos communautés ne meurent-elles pas trop souvent de ces excès de compétitions - liés à des egos surdimensionnés - qui les détruisent petit à petit, alors qu’elles devraient se construire dans la responsabilité mutuelle ?

Cette responsabilité signifie que je m’engage dans une aventure dont je ne maîtrise plus les tenants et les aboutissants, dans une relation qui me déporte au-delà de mes intérêts immédiats et de mes soucis personnels. Je vais y être amené à accomplir des actes que je n’aurais jamais pensé pouvoir faire, à prendre des décisions qui ne répondent à aucune attente ou anticipation, parce que je me découvre désormais responsable d’une relation dont l’autre pôle m’échappe, d’une alliance dans laquelle je vis, mais qui ne se résout pas à ma vie.

C’est là la transcription de l’interdiction de manger de l’arbre du connaître. La connaissance biblique n’est pas interdite, puisque Adam a dû connaître Eve sa femme (Genèse 4,1) pour avoir des enfants, ce qui répond à un commandement divin. Ce qui est interdit, c’est de manger la connaissance. Autrement dit, la relation à l’autre est nécessaire et structurante pour l’humain, mais ce qui est déstructurant, c’est l’utilisation de cette relation à des fins personnelles, c’est la manducation de la relation, comme si la relation pouvait se résoudre et se résumer à ce que j’en fais ou en veux. Non. Toute relation digne de ce nom, toute alliance, ne peut se construire que dans la conscience de la distance infinie qui me sépare d’autrui, et donc dans la reconnaissance de la responsabilité infinie par laquelle je m’attache à lui dans un lien qui me conduit au-delà de moi-même vers l’aventure de la vie et vers ses rebondissements infinis.

Yedidiah Robberechts

Au service du pouvoir

La fin de la parasha   de cette semaine, Vayigash, présente un parallèle intéressant avec le début du livre de l’Exode.

Le verset 8 du chapitre 46 de la Genèse commence par les mêmes mots que ceux employés dans le premier verset de l’Exode ("Et voici les noms des enfants d’Israël venant en Egypte"). Quant au dernier verset de notre Parasha   (Genèse, 27, 47), il emploie des termes très proches du septième verset de l’Exode ("Et ils crûrent et se multiplièrent beaucoup"). Ce parallèle n’est pas un effet du hasard.

Nous connaissons tous le début du livre de l’Exode (en hébreu : shemot). En quelques lignes la Thora résume l’histoire des hébreux en Egypte : l’arrivée de Jacob et de sa famille, 70 en tout ; la disparition de toute la première génération ; l’augmentation démographique considérable des enfants d’Israël ; pour aboutir finalement à cette constatation : un nouveau roi se lève sur l’Egypte, qui n’avait pas connu Joseph, et l’histoire de "l’antisémitisme" peut débuter. Si nous voulons mieux comprendre cette explosion de haine vis-à-vis du peuple d’Israël, la première de l’Histoire, il nous faut en chercher les clés dans les chapitres 46 et 47 de la Genèse, qui forment donc la fin de la section shabatique de cette semaine..

Trois thèmes sont abordés successivement dans cette portion de texte : le premier concerne les noms des 70 enfants d’Israël descendus en Egypte ;

le second décrit l’arrivée en Egypte de Jacob et de ses fils, et la rencontre avec le Pharaon, maître du pays ;

le troisième thème décrit les changements sociaux-économiques provoqués par la famine en Egypte.

Ce dernier passage nous semble particulièrement intéressant, et avant tout parce que son utilité n’est pas évidente. Nahmanide   tente de justifier sa présence par le fait qu’il souligne la probité et l’honnêteté de Joseph vis-à-vis de Pharaon. Mais cela justifie-t-il 14 longs versets alors que le texte de la Torah est, en général, très économique dans son expression ? Rashi   souligne, lui, que l’on revient au premier sujet abordé avant la descente en Egypte des enfants d’Israël (la famine en Egypte), mais sans expliquer vraiment la nécessité de ce retour.

Le passage débute de manière significative : aux versets 11 et 12 du chapitre 47, on montre comment Joseph installe sa famille sur la terre de Goshen, soulignant que "Joseph entretenait son père, ses frères et toute la maisonnée de son père, [distribuant] du pain en fonction des bouches à nourrir". Le verset 13 continue aussitôt en soulignant : "Et il n’y avait pas de pain dans toute la terre car la famine était très pesante, et la terre d’Egypte et celle de Canaan étaient accablées à cause de la famine". La répétition du mot "pain" n’est pas, bien sûr, un hasard. Tandis que les gens deviennent fous (autre traduction possible de "accablées") du fait des difficultés économiques, la famille de Jacob devient une famille privilégiée de par sa proximité avec le pouvoir, par l’intermédiaire de Joseph. Certes, ne doutons pas que Jacob et ses enfants aient multipliés les actes de charité en cette difficile période. Mais l’impression laissée aux yeux du peuple ne peut-être que celle d’étrangers qui ont réussi à intriguer pour "manger le pain de l’Egypte" à leur place, un thème antisémite bien connu et qui reviendra régulièrement au cours des siècles.

Mais la Torah ne s’arrête pas là : elle nous décrit ensuite dans le détail comment Joseph se sert de la famine pour transformer les paysans égyptiens en serfs, véritables esclaves du Pharaon. Les seules catégories exemptées sont les prêtres égyptiens et les cercles proches du pouvoir, dont la famille de Jacob.

Dans la mémoire collective des égyptiens, Joseph et les Hébreux sont donc les responsables de leur exploitation par le gouvernement. On comprend que le jour où arrivera au pouvoir "un nouveau roi qui n’avait pas connu Joseph", c’est-à-dire qui n’a plus les mêmes intérêts de domination que ceux qui avaient été défendus par Joseph, il utilisera le potentiel "d’antisémitisme" qui s’est accumulé chez le peuple pour, démagogiquement, provoquer une crise.

Ce scénario que nous a décrit la Torah se répétera à plusieurs reprises au cours de l’histoire. Parce qu’ils sont des étrangers utiles au pouvoir en place, certains Juifs obtiendront de hautes positions, cherchant à s’en servir pour soulager le sort de leurs frères. Mais, dès que le pouvoir changera, dès que les intérêts deviendront opposés, Juifs privilégiés comme Juifs dépendants seront victimes d’un rejet et de violences.

Certes, le plus souvent, les Juifs en exil n’ont pas eu d’autre choix si ce n’est celui de servir le pouvoir en place. Mais cette situation n’était qu’une phase d’illusion recouvrant une instabilité chronique menaçant leur survie. Car seul le service d’un pouvoir juif indépendant sur la terre d’Israël peut constituer une solution à long terme. De ce point de vue, le récit de la Torah décrivant le premier exil de notre histoire est un exemple qui mérite toujours d’être médité.

Rabbin   Alain MichelRabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

copyright Jerusalem Post

La centralité justifiée

Judah va permettre à Joseph, son frère, de se faire reconnaître de ses frères. Mais pour cela, il va devoir faire deux choses extrêmes, presque inhumaines.

D’abord, il va devoir reconnaître que Jacob, son père, aime Benjamin plus que tous ses autres fils – et donc que lui-même -, parce qu’il est le fils de la seule femme que Jacob ait jamais aimé : Rachel (Genèse 44, 20). Comme si lui-même et ses frères étaient un peu moins les fils de Jacob que Joseph et Benjamin…

Et ensuite, alors même qu’il vient de reconnaître cela, il va devoir avouer qu’il respecte son père au point de refuser de mettre sa vie en danger si Benjamin ne revenait pas vers lui. Il se considère donc comme responsable jusqu’au bout de la vie de son frère, au point de proposer de devenir esclave à la place de Benjamin, pour laisser celui-ci revenir à son père (Genèse 44, 33).
Non seulement donc Judah témoigne ainsi devant Joseph du fait qu’il n’a jamais voulu tuer son frère ou l’abandonner – par jalousie pour un amour qu’il n’aura jamais -, mais qu’il est prêt à mourir à sa place pour qu’il puisse vivre ! Peut-on rêver un acte de fraternité plus entier ?

Judah, ce faisant, devient le centre de la fratrie et enseigne à Joseph le véritable sens de ses rêves : s’il veut être au centre de ses frères et reconnu par eux, il ne doit pas se les aliéner par des déclarations fracassantes de prétention et de suffisance : il doit devenir central par le service et la responsabilité qu’il exerce à leur égard.

Joseph, en entendant Judah parler de la sorte, peut dès lors se faire reconnaître d’eux, non plus pour les accuser, mais pour accepter sa part de responsabilité dans le tragédie qu’il a lui-même en partie engendrée : ce n’est pas eux qui l’ont vendu, c’est Dieu lui-même qui l’a envoyé par leur intermédiaire pour les faire vivre en les nourrissant (Genèse 45, 5).

Le mot « Dieu » utilisé par Joseph signifie ici la justice : il n’était que justice que face à son comportement prétentieux, Joseph soit vendu comme esclave pour apprendre par là non plus à commander ses frères en les méprisant, mais à les servir en les nourrissant.

L’élection ne sera donc plus vécue par Joseph comme un droit, mais comme un devoir et une responsabilité qui l’obligent à prendre sur lui les manquements de ses frères pour les porter vers la vie (Genèse 45, 7).

N’est-ce pas seulement ainsi que la notion d’élection peut gagner ses véritables lettres de noblesse ? Mais elle sera désormais partagée pour toujours entre Joseph et Judah.

Yedidiah Robberechts

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