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Vente du Hamets, une pratique contestable

Vente du Hamets, une pratique contestable

Une remise en question de la pratique très répandue dans le cadre familial de la vente du Hamets avant Pessah. A mon avis, il faut éliminer physiquement le Hamets et bannir cette pratique souvant innutile et halakhiquement contestable, de la pseudo-vente du Hamets. Voici pourquoi. Par Yeshaya Dalsace

 L’interdit du Hamets à Pessah.

En dehors de l’interdit strict de la consommation durant toute la semaine de Pessah, même en quantité infinitésimal (sur la base d’Exode 12.15), il existe un double interdit : voir chez soi ou trouver chez soi tout Hamets (sur la base d’Exode 12.19 et 13.7).

Le Hamets est une des cinq céréales (le blé, le seigle, l’avoine, l’orge et l’épeautre) ayant fermenté sous forme solide ou liquide. Dès que de la farine ou des grains sont au contact de l’eau ou d’un autre liquide plus de 18 minutes, on obtient du Hamets.
L’idée du ménage de Pessah est l’élimination systématique de tout Hamets et levain de la maison et dépendances. On ne doit ni en trouver chez nous, ni en voir… Il y a derrière ce rite l’idée d’un renouvellement total, d’un nouveau départ, car il faudra une fois la fête passée retrouver du levain et réamorcer la chaine de la fermentation.

Il y a là une formalisation très importante de l’idée de liberté, fondement de Pessah.

Curieusement, au cours de l’histoire juive, s’est installée l’habitude de ne pas éliminer le Hamets, mais de le vendre… Au lieu de terminer les aliments Hamets à temps, de programmer convenablement la fête, de se débarrasser de ce qu’il reste, c’est-à-dire de se "libérer" de l’emprise du Hamets, on met tout cela dans un placard que l’on "vend" et que l’on ouvrira à nouveau après la fête… Non seulement on ne fait pas l’effort de se "détacher" de son Hamets, en le donnant à un non-juif (qui sera ravi du cadeau surtout s’il est pauvre et ce n’est pas les pauvres ou les banques alimentaires qui manquent de nos jours) ou en le détruisant si nécessaire ; mais surtout on risque fort de transgresser l’interdit biblique de ne pas posséder de Hamets durant la fête et de transgresser après la fête l’interdit rabbinique de consommer du Hamets demeuré en possession d’un Juif (Hamets sur lequel est passé Pessah חמץ שעבר עליו הפסח) pour une raison simple : cette vente, instituée par nos sages   pour ceux qui n’avaient pas d’autre solution, reste douteuse.

Avant d’entrer dans les détails, il me semble évident que sauf cas exceptionnel où il est impossible de faire autrement, dans un cadre professionnel ou de stocks importants, on ne devrait pas vendre son Hamets, mais l’éliminer.

 Historique de la vente du Hamets :

La source première qui signale le fait de vendre est dans la Tossefta   (3e siècle) Pessahim 2.12 :

"Un Israël qui a avec lui du Hamets et un non-juif voyagent en bateau, le Juif peut vendre ou donner en cadeau le Hamets au non-juif. Il pourra le reprendre (ou le racheter) après Pessah, à la condition que ce soit un véritable don (ובלבד שיתנו לו במתנה גמורה)."

La Tossefta   ajoute qu’on peut même conditionner un prix élevé en tenant compte que ce sera racheté après Pessah, mais la vente doit être effective. Maïmonide   (Hilkhot Hamets oumatsa 4.6) reprend exactement cette expression afin d’exiger une vente parfaite et non fictive.

On voit bien, qu’il s’agit d’une situation d’urgence, lors d’un voyage en bateau, et non d’une situation normale comme c’est le cas le plus souvent de nos jours.
Amram Gaon   (décisionnaire du 9e siècle à Bagdad) autorisa effectivement une telle vente à la condition qu’elle fut exceptionnelle et réelle, c’est-à-dire que le non-juif prenne possession physique du Hamets et l’apporte chez lui. Alors le Juif peut récupérer le Hamets après la fête en le rachetant. (Otsar Hagueonim Pessahim)
Il est clair que cette vente, réelle et non fictive, c’est-à-dire que l’acheteur peut décider pendant Pessah de faire ce qu’il veut avec ce Hamets et que le Juif ne le possède nullement durant la fête, ne fut imaginée par les rabbins   que dans des cas exceptionnels où un Juif ne pouvait se permettre de faire autrement et qu’il ne saurait s’agir d’une "ruse".

Par contre, le Hamets d’un non-juif qui serait en dépôt dans la propriété d’un Juif, il n’y aurait pas de problème et le Juif peut conserver ce Hamets chez lui à la condition de placer un obstacle devant. Mais il est clair qu’une vente fictive ne suffit pas à transférer la propriété.

Au moyen-âge, on sait qu’exceptionnellement la vente du Hamets se pratiquait, mais elle était réelle et non conditionnelle, même si le Juif assurait le non-juif qu’il viendrait racheter la marchandise une fois la fête passée. Là encore, le non-juif pouvait, durant la fête, en faire comme bon lui semblait. On a d’ailleurs des témoignages de Juifs bien embêtés, car le non-juif est parti avec la marchandise et impossible de la récupérer après la fête, mais ce n’est nullement un vol…

Le rabbin   Israël Isserlin (15e siècle), autorise la vente même symbolique, c’est-à-dire qu’il est clair que le Juif récupérera son Hamets après la fête et que le non-juif aura un petit profit de l’affaire, mais sans rapport avec la valeur réelle du Hamets. Cependant, il y voit un cas exceptionnel pour aider celui qui s’occupe professionnellement de Hamets et à la condition que ce soit tout de même un don véritable et que le Hamets ne reste pas dans le domaine du Juif. (Troumat Hadeshen 120)

Le Shoulkhan Aroukh   OH 448.3 (16e siècle) signale bien évidemment cette pratique, mais précise bien que le Hamets n’est plus dans la maison du Juif durant la fête, mais chez le non-juif et qu’il existe toujours la possibilité de ne pas le récupérer.

Par la suite, face à la difficulté de déménager de grandes quantités de Hamets (là encore dans un cadre professionnel) on autorisa à louer la pièce pleine de Hamets d’un Juif à un non-juif, mais là encore, cela restait exceptionnel, le non-juif avait libre accès à la dite pièce et on lui remettait la clé. Puis on commença aussi à prendre des libertés avec l’idée de laisser la clé…

Il est clair que l’apparition de l’aire industrielle, d’usines alimentaires, de conserves, la capacité de conserver de gros stocks de nourriture et les nombreux Juifs travaillant dans la production comme dans la distribution de denrées alimentaires a posé des problèmes considérables. Ce qui était jusque là qu’une exigence familiale, éliminer le peu de Hamets en notre possession, devenait un véritable casse tête pour tout Juif ayant des intérêts dans le secteur alimentaire. C’est pourquoi les rabbins   se sont efforcés, avec raison, de trouver des solutions viables. Ce qui n’empêchait d’ailleurs nullement les mêmes Juifs qui vendaient leur Hamets industriel, d’éliminer strictement le Hamets de leur maison familiale.

Mais comme souvent, quand on ouvre la porte à une facilité nécessaire pour quelques uns, la foule s’engouffre dans la brèche… C’est ainsi que la vente du Hamets est devenu peu à peu une pratique familiale des plus courantes. Les rabbins   ont peu à peu proposé à tout un chacun de vendre le Hamets, mais certains rabbins   désaprouvaient. C’est ainsi, qu’entre autres, le Gaon   de Vilna (18e siècle) s’éleva contre la vente du Hamets en train de se répandre à son époque. Il considérait que seule une vente véritable était valable et il interdisait même dans les semaines après Pessah d’acheter tout pain ou bière chez des Juifs par crainte de consommer du Hamets de vente fictive !

De nos jours, la pratique est devenue si courante que les synagogues proposent des actes de vente au grand public à remplir et renvoyer au rabbinat quelques jours avant Pessah et c’est même devenu faisable par internet… On a l’impression que c’est même devenu une norme incontournable et rares sont les protestations. Par exemple, le rabbin   Eliezer Waldenberg (20e siècle) autorise certes la vente du Hamets, mais précise bien qu’il vaut mieux le détruire (Tsits Eliezer 20.51).

Or voilà à quoi on aboutit : les gens rassemblent dans un placard de la cuisine leur quelques rogatons de pâtes, biscuits et autre chapelure ou encore un vieux fond de whisky, ils y ajoutent tout ce qui leur pose problème même si pas Hamets comme la farine (que l’on peut garder sans vente), ils mettent un joli scotch sur le placard qu’ils s’empresseront de rouvrir une fois la fête passée. Beaucoup, pensant que le placard suffit, ne font même plus de vente ! Quand ils sont un peu scrupuleux, ils vendent cela en remplissant un document qui n’a aucune valeur marchande ou juridique et reste un subterfuge de la Halakha   créé pour les cas extrêmes. Le Hamets de tous ceux qui ont signé un vague papier que personne ne lira est ainsi vendu par le rabbinat, on ne sait pas à qui, certes une personne bienveillante qui ne sait nullement ce qu’elle "achète" et ne saurait d’ailleurs avoir accès à quoi que ce soit de son prétendu achat ! Je voudrais voir la tête de nos bons Juifs si "l’acheteur" débarquait chez eux prendre possession de son bien ! Tout le monde sait que c’est du bidon, vendeur, rabbin   et acheteur... Le judaïsme se ridiculise et on continue quand même !

On a même des gens qui font le ménage très correctement et ne gardent aucun Hamets, mais vendent quand même "au cas où"… Un véritable délire, car aucune vente d’un objet inexistant ou en quantité infinitésimale et non consommable (comme des miettes dans les fentes du parquet) n’a de sens et de toute façon, la formule d’annulation prononcée à la veille de Pessah (on la trouve au début de toute bonne Agada de Pessah) suffit amplement comme le précise bien Maïmonide  .

Bref, Pessah n’est plus la fête de la liberté, du rite qui libère, mais de la libération du rite, de l’aliénation à l’hypocrisie et à la petitesse humaine…

Personnellement, je trouve qu’en dehors des cas de professionnels de l’alimentaire, qui doivent alors s’adresser directement à un rabbin   pour organiser les choses le plus sérieusement possible, le reste n’est qu’une comédie grotesque qui n’a aucun sens.

Comme rabbin  , je refuse de divulguer ces actes de vente fictive et j’incite les gens à faire l’effort de vivre un judaïsme sérieux, cohérent et a minima exigeant, notamment pour Pessah en se débarrassant physiquement de leur Hamets.

 La problématique du gâchis (Bal Tashrit) :

Il existe un interdit de gâcher de la nourriture dans le judaïsme et on ne devrait pas jeter en vain un aliment, mais se soucier de le terminer ou d’en faire profiter celui qui est dans le besoin. Dans cet état d’esprit, il va de soi qu’avant Pessah, le mieux est de donner son excédent de Hamets. Mais si, faute de mieux, on est amené à le détruire ou le jeter, on ne transgresse pas vraiment l’interdit de Bal Tashrit, car celui-ci ne s’applique pas dans le cadre d’une mitsva bien définie. C’est ainsi qu’on peut par exemple détruire un vêtement lors d’un deuil en le déchirant ou casser un verre lors d’un mariage… Il n’y a donc pas de problème à jeter ou brûler du Hamets, même si on préfèrera toujours le donner.

  Comment détruire :

En principe, on brûle le Hamets, ce qui de nos jours dans les villes est quasiment impossible, sauf exception. Mais on peut aussi le jeter tout simplement (penser à ce que les poubelles soient sorties avant Pessah). Personnellement, je programme de terminer et la semaine avant Pessah, on mange les restes de pâtes, etc… Je donne le maximum à des voisins non-juifs qui sont toujours content de ce geste. S’il reste quelque chose, je le jette (très rare, car même des biscuits ouverts peuvent être posés dehors pour les oiseaux). Je garde 10 petits morceaux bien emballés afin de pratiquer la recherche la nuit de la veille de Pessah avec les enfants. Le lendemain matin, je vais avec les enfants devant une bouche d’égout et je jette "solennellement" les 10 petits morceaux en récitant la formule d’élimination… Rien de bien compliqué. Et si je peux, je les brûle, mais ce n’est pas indispensable.

 En Israël :

D’aucuns pensent que le retour en Israël devrait changer quelque chose, mais la problématique est absolument la même. Il n’y a pas plus de raison de garder du Hamets chez soi en Israël qu’ailleurs. On pourrait même collecter du Hamets avant la fête afin d’en faire cadeau à une banque alimentaire arabe ou à des voisins arabes, cela aurait l’avantage de rapprocher les cœurs et de rajouter un petit caillou à la difficile construction de la paix…

Pour ce qui est des très nombreux commerces, usines alimentaires, services de restauration, etc… La vente bien menée reste évidemment la solution et elle a été envisagée pour cela par nos sages   et largement pratiquée, à juste titre dans ces cas précis.

 Cas de force majeur

Que ce soit bien clair, nos sages   ont mis en place la vente du Hamets afin d’aider, faute de mieux, ceux qui ne peuvent le détruire. Cette vente, aussi critiquable soit-elle en théorie, reste en pratique, dans bien des cas, la seule solution. Elle a été créée pour cela. C’est une fiction juridique, mais une fiction utile.

Une personne qui a un commerce de nourriture, une personne malade et sans aide pour se débarrasser de son Hamets, une personne en voyage (encore qu’elle pourrait donner son Hamets resté chez elle à son retour), un collectionneur de plusieurs bouteilles de vieux whisky… peut évidemment avoir recourt, faute de mieux, à la vente. La plupart des poskim (décisionnaires) l’envisage et la valide.

Cet article ne remet pas cela en cause, mais l’usage quasi systématique et habituel de cette vente par des gens qui pourraient très facilement faire autrement.

Yeshaya Dalsace rabbin   et webmaster de ce site.

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