Accueil > Le mouvement Massorti > Nos choix, nos vues > Le sionisme

Massorti : un sionisme pour demain

Massorti : un sionisme pour demain

Ismar Schorsch -

Le fait que les juifs d’obédience « Massorti   » restent confinés dans les coulisses de cette exceptionnelle réalisation historique qu’est l’État d’Israël est absurde (une cinquantaine de communautés existent en Israël, une prestigieuse école rabbinique, mais dans l’ensemble l’orthodoxie   radicale règne en maître sur le terrain Israélien).

Le judaïsme « Massorti   » a beaucoup à offrir à la société israélienne en proposant un judaïsme autre que celui, corrompu et despotique, de l’establishment orthodoxe  , et en préconisant des positions occidentales et démocratiques auxquelles les originaires des pays d’Europe de l’Est et du Proche-Orient n’ont pas été habitués. Les Juifs libéraux d’Amérique devraient cesser de financer des institutions juives dont les valeurs sont opposées aux leurs. II faut démanteler le grand rabbinat d’Israël tout en préservant l’ensemble de la législation cultuelle israélienne.

Il me semble qu’on peut énoncer quatre raisons maîtresses pour lesquelles le judaïsme Massorti   devrait redoubler d’activités en Israël :

1. En premier lieu, Israël incarne une réalisation historique de premier plan dont l’aura ne ternit pas depuis plusieurs décennies : la renaissance du foyer national juif après deux millénaires de dispersion. Le rétablissement de la souveraineté nationale sur la terre envahie par Rome en 63 avant l’ère chrétienne, est l’expression spécifique d’un consensus historique persistant, étayé par une foi religieuse. Les records d’Israël en matière d’engagement à la démocratie, à la stabilité politique, à l’insertion de réfugiés, à la justice sociale, au développement agricole, à l’excellence dans le domaine scientifique, à la créativité culturelle, le tout associé à des prouesses militaires dans un environnement particulièrement hostile, sont uniques parmi les pays établis après la Deuxième Guerre mondiale. Le fait que les Juifs d’obédience Massorti   soient contraints d’observer en coulisse cette admirable aventure humaine est une véritable absurdité.

2. En deuxième lieu, Israël constitue potentiellement une force exceptionnelle d’unité dans cette ère séculière où le peuple juif est fragmenté sur le plan religieux. Israël suscite au même titre l’intérêt et l’enthousiasme des juifs laïques et des Juifs religieux, surtout dans les périodes de crise.

3. Troisièmement, nous, juifs « Massortim » souhaitons promouvoir un judaïsme alternatif en Israël. Les Israéliens sont dans leur vaste majorité démunis sur le plan spirituel, éloignés de leurs racines religieuses. Ils se proclament laïques à la fois par choix et par manque de choix. Combien de juifs américains ou canadiens se tiendraient à l’écart du judaïsme si la seule option qui leur est proposée était l’orthodoxie   ? La définition nationale de l’identité juive dans l’État juif atteste l’échec catastrophique de l’orthodoxie   et se traduit par un pourcentage de 80 % d’Israéliens possédant un minimum de connaissances et d’observances juives.

Et plus le secteur orthodoxe   se replie sur lui-même et multiplie ses mesure de coercition, plus grand est l’éloignement du judaïsme des Israéliens. L’introduction d’un judaïsme religieux pluraliste est ,,donc vitale, non seulement pour promouvoir les relations entre Israël et la diaspora, mais aussi pour attirer les Israéliens vers le judaïsme. Les incursions dans la société israélienne que nous avons d’ores et déjà accomplies m’ont convaincu que notre mouvement est parfaitement adapté à cette entreprise historique.

4. Enfin, nos engagements de plus en plus forts en Israël sont motivés par notre fidélité aux idéaux démocratiques. L’éthique du judaïsme moderne fruit de l’émancipation était d’essence démocratique et non despotique, pour de très bonnes raisons... Et de nos jours, les juifs de diaspora tiennent viscéralement à la culture politique de la démocratie occidentale.

Le mépris pour le système politique exprimé en Israël par trop de milieux d’extrême-droite et de jeunes a eu pour précurseur Méir Kahana. Outre l’héritage empoisonné que ce dernier a instillé dans certains esprits, les humeurs messianiques qui infectent les yéchivot prétendument sionistes ont nourri un nationalisme qui a perverti à la fois le judaïsme et le sionisme. Le livre de Josué est désormais considéré par eux comme le plus sacré de la Bible et le peuplement des territoires a été promu en mitsva suprême. Les Palestiniens ont été relégués au rang d’Amalécites, la halakha   a supplanté les droits humains et le judaïsme est devenu incompatible avec la démocratie.

En tant que juifs Massortim nous devons réaffirmer haut et fort que le judaïsme et l’extrémisme de droite ne doivent pas être contrecarrés par des restrictions légales de la liberté d’expression mais par un consensus public inscrit dans une résolution affirmant que la démocratie israélienne est fermement ancrée dans l’expérience nationale juive et dans l’histoire du sionisme.

Le moment opportun

Les enjeux actuels sont immenses. Les fractures politiques et religieuses qui se sont creusées entre orthodoxes   et non orthodoxes   américains et israéliens ne peuvent plus désormais être dissimulées sous couvert de vains appels rhétoriques à l’unité du peuple juif.

En mars 1997, l’Union des rabbins   orthodoxes   nord-américains a publié une déclaration stigmatisant le Judaïsme réformiste et Massorti   comme « hérésies » religieuses. L’occurrence de cette déclaration téméraire indique qu’à l’évidence elle a été tramée en Israël, dans une tentative diabolique de discréditer et de délégitimer le judaïsme réformé et le judaïsme Massorti   (qui, mis ensemble, représentent 84 % des juifs américains affiliés à des synagogues), à un moment où les joutes sur la conversion étaient au cœur des débats de la Knesset. Mais la crise des conversions qui alimentent périodiquement les débats du gouvernement israélien n’a pas été inspirée par la décision de 1995 de la Cour suprême qui a statué que le grand rabbinat d’Israël n’a pas le monopole des conversions, comme il l’a pour les mariages et les divorces. Au contraire. La crise puise ses racines dans la loi du Retour votée par la Knesset en 1950.

Au cœur de cette noble législation figurent deux définitions distinctes du judaïsme, l’une relevant de la tradition juive, l’autre de la Shoah. Cette loi exprime les idéaux sionistes - toute personne née de mère juive ou convertie au judaïsme a le droit inaliénable de s’installer en Israël. Cette loi n’exclut pas pour autant les non juifs pris dans les filets des nazis en vertu de leur ascendance ou de leur mariage et qui ont subi les mêmes exactions que les juifs. Il s’ensuit qu’Israël, s’appuyant sur cette loi fondamentale de l’État, est disposé à accepter dans son sein l’époux, les enfants et les petits-enfants et leurs conjoints, à condition qu’ils ne soient pas fidèles déclarés d’autres religions.

Ces deux critères de la judéité (en vertu de la foi ou du destin) n’ont pas été modifiés par le grand rabbinat sioniste qui, en son temps, facilitait les conversions. De nos jours, malheureusement, le siège du grand rabbinat et les tribunaux rabbiniques sont tombés aux mains d’ultra-orthodoxes   qui conspirent impitoyablement et font tout leur possible pour amender la loi du Retour en obstruant le passage d’une identité juive à l’autre (il suffit à ce propos de mentionner que 350 conversions seulement ont été avalisées en 1996). Il y a quelques années, certaines familles juives originaires de l’ex URSS se sont adressées au mouvement Massorti   en Israël pour la conversion de leurs enfants adoptifs d’origine non juive. La chose a été faite. Malgré le vœu fervent de ces parents de créer des foyers juifs, aucun tribunal rabbinique n’aurait levé le petit doigt sans leur soutirer la promesse qu’elles adopteraient le mode de vie et les observances les plus strictement orthodoxes  .

L’ironie suprême de l’histoire du sionisme est que les fondateurs d’Israël qui échappaient à la stricte et intransigeante orthodoxie   des pays d’Europe orientale ont fini par perdre tout contrôle sur la pratique religieuse juive orthodoxe   dans l’État juif.

La seule différence entre l’Union des rabbins   orthodoxes   nord-américains et le grand rabbinat israélien est que l’un se permet de statuer ouvertement ce que l’autre souhaite en sourdine. Aucun grand rabbin   en visite aux Etats-Unis ne prendrait la liberté de mettre les pieds dans une synagogue réformée ou Massorti  . De même Israël ne pourra se prétendre au cœur du monde juif, comme il se doit, si l’État se contente de s’identifier à une seule et même obédience religieuse : celle de l’orthodoxie  . Pour remplir son rôle, l’État doit être juif et non orthodoxe  . Les juifs Massortim doivent s’engager résolument dans l’activisme politique et social. Je propose sur ce registre un plan en quatre points :

1. En premier lieu, les juifs affiliés aux mouvements Réformé et Massorti   devraient s’abstenir de financer des organisations et Institutions ultra-orthodoxes   qui jettent l’anathème sur le pluralisme religieux. II est essentiel que les juifs nord-américains s’assurent de la fiabilité des yéchivot israéliennes en matière de pluralisme religieux avant de les financer. Le financement de la majorité des yechivot d’Israël provient en effet du continent américain. Elles ne se ressemblent pas systématiquement, ces yechivot. Certaines sont résolument antisionistes, d’autres ultranationalistes. Toutes bénéficient des largesses de donateurs imprégnés de nostalgie pour leur univers juif disparu, mais qui n’aimeraient certainement pas y envoyer leurs enfants. Les juifs américains doivent cesser de faire des contributions à des gens qui traitent avec mépris et dérision leurs convictions religieuses.

2. En second lieu, la promotion d’un judaïsme pluraliste en Israël doit devenir l’une des priorités des fédérations de l’Appel unifié pour Israël. Le concept de pluralisme juif est étranger en Israël parce que ce pays a été fondé et peuplé par des juifs originaires d’Europe de l’Est et des pays arabes qui n’ont jamais fait l’expérience de l’émancipation.
Les mouvements religieux subissent inévitablement les effets de la liberté politique et de l’intégration sociale. La structure communautaire du judaïsme américain est basée sur le pluralisme religieux parce que les Juifs qui l’ont étable étaient originaires d’Europe centrale où l’émancipation commençait à prendre racine. L’ironie à notre époque est précisément que le judaïsme de diaspora est beaucoup plus sain qu’en Israël. Comme nous l’avons vu plus haut, l’absence d’options religieuses a éloigné la majorité des Israéliens de tout lien significatif avec l’histoire et la culture du peuple juif, L’introduction d’un judaïsme pluraliste en Israël est sans nul doute possible. Citons à ce propos un signe précurseur qui me semble éloquent : l’Université de Tel-Aviv a fait récemment construire sur son campus une panoplie de trois synagogues (réformée, « Massorti   » et orthodoxe  ).

3. En troisième lieu, il est plus que temps de démanteler le grand rabbinat et son réseau de tribunaux rabbiniques. Étayé par des alliances politiques qui relèvent à la fois du cynisme et de l’intégrisme, le grand rabbinat ne brille guère par ses valeurs éthiques, Dès 1994, 20 % des futurs couples israéliens allaient se marier civilement à l’étranger pour échapper au monopole de l’establishment orthodoxe  . Je ne préconise pas l’abrogation de la législation religieuse sur la cacherout, le chabbat, les autopsies, les fouilles archéologiques, la prohibition de l’élevage de porcs, ni même des privilèges réservés aux religieux - conseils locaux et réseau éducatif - encore que dans tous ces domaines des changements soient indispensables. Ce qui me semble incontournable en revanche, c’est la séparation de l’État d’un rabbinat ultra-orthodoxe  . Les deux premières réglementations expriment le caractère juif de l’État d’Israël, la troisième- la toute-puissance des juridictions rabbiniques -transforme Israël en un pays intégriste.

4. Pour finir, la campagne contre la dictature des ultra-orthodoxes   doit être menée indépendamment des pourparlers de paix. Une chose est certaine : les adeptes de Shas, de l’Agoudat Israël, de Deguel HaTorah (partis ultra-orthodoxes  ) et même du Mafdal (le parti national-religieux) continueront à défendre leur cause ouvertement et sournoisement quels que soient les aléas de la réconciliation avec les Palestiniens. L’enjeu est la nature et le devenir de l’Etat juif Israël ne survivra pas longtemps sectaire. Son essor réside dans sa promotion en foyer religieux où la piété et le bon sens ne seront plus antinomiques.

Ismar Schorsch dirigea le JTS   durant de longues années

Ce texte a été publié dans le cadre de l’organisation sioniste mondiale

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

ConnexionS’inscriremot de passe oublié ?