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Massorti et orthodoxie libérale

Massorti et orthodoxie libérale

Pour un Israël meilleur. -

Afin de faire avancer nos vues qui sont très proches, il nous faut lutter ensemble. Témoignage du rabbin   israélien Novis-Deutsch

Il y a 14 ans, j’ai passé la ligne. Je suis né juif orthodoxe   et j’ai grandi comme tel, jusqu’à ce que durant l’année 2000, j’ai commencé à étudier comme rabbin   massorti  . Mes parents étant des chercheurs en judaïsme et des intellectuels orthodoxes   éclairés, pour moi le changement de vision du monde ne fut pas bien grand. Les 7 années que j’ai passées à la yeshiva du Kibboutz Hadati m’avaient offert un univers intellectuel qui ne diffère pas vraiment de celui que j’ai aujourd’hui comme rabbin   massorti  . Et pourtant, il y a bien le passage d’une ligne invisible, d’un tabou, qui pose la question de savoir comment les parents ont reçu cela ? Comment l’entourage a réagi ?

Jusqu’à l’âge de 20 ans, pour moi également il était clair que les massorti   tout comme les libéraux étaient infréquentables, des « intouchables » « mouktsé mih’amat mi’ouss ». A posteriori, je n’ai aucune idée qui m’a inculqué de telles idées. Je ne me rappelle pas avoir entendu de telles choses, ni chez mes parents, ni chez mes professeurs. Mais il y avait une espèce de ligne rouge invisible qu’il ne fallait pas franchir.

Il y avait cependant une curiosité : « que pensent-ils de l’autre côté de la ligne, que disent les « intouchables » ? ». Par ailleurs il y avait le problème majeur de la position de la femme dans le monde orthodoxe  , y compris dans mon monde orthodoxe   ouvert. Je me suis mis à lire les articles de penseurs « intouchables » et me suis senti une immense affinité avec eux. J’ai compris que ma place était là bas de l’autre côté de la ligne, parmi les massorti   pratiquants.

Je vais mettre maintenant le doigt sur plusieurs points qui me semblent commun au mouvement massorti   et à l’orthodoxie   libérale. Quand bien même nous avons quelques divergences, le langage et les valeurs restent communs. Je tiens particulièrement à toucher non pas à des points théologiques mais à des points essentiels à la construction de la société israélienne, moderne et démocratique, telle que nous la voulons.

Ce sont des points qui font une différence essentielle entre nos deux groupes, les orthodoxes   libéraux et les massorti  , face aux autres parties du monde juif religieux qui ne partagent pas le même attachement aux mêmes valeurs. Et c’est ce qui fait que nous devons collaborer.

Les discussions entre les différents courants du judaïsme devraient toujours être « au nom du ciel » dans le respect mutuel et l’amour commun du judaïsme. Hélas, à lire les forums sur Internet ou voir les réactions violentes contre les « femmes du Kotel   », ce n’est pas le cas et le plus souvent ce n’est que haine de l’autre, haine des « intouchables »…

Il n’y a pas un Juif aujourd’hui qui ne se confronte pas d’une manière ou d’une autre à la modernité, sociale, économique, culturelle ou idéologique. Pour le Juif pratiquant, la modernité représente des défis et amène bien des difficultés, mais par ailleurs il découvre un monde aux valeurs bien réelles.

Du point de vue de la connaissance, la modernité confronte le Juif religieux à un savoir qu’il ne soupçonnait pas et le place face à un monde assez éloigné de la petite vie communautaire traditionnelle.
En ce qui concerne les valeurs, la modernité ne met plus Dieu au centre mais l’homme, elle remplace le discours des devoirs par un discours des droits. Elle apporte l’idée d’une égalité entre les hommes considérés comme des individus libres. Elle considère la répression des idées comme un des pires dangers auxquels l’humain est confronté et aspire à un monde sans oppression. Même si ces valeurs peuvent se retrouver dans le judaïsme et y trouve même peut-être leur source, il n’en demeure pas moins que leur mise en place pose des défis au judaïsme classique. Cela en particulier en ce qui concerne l’autonomie de l’individu, en ce qui concerne l’approche critique des sources (mettant à mal la vision classique de la révélation), en ce qui concerne l’égalitarisme entre les sexes obligeant une relecture des sources traditionnelles et enfin, l’idée elle-même de l’élection d’Israël, dans sa vision classique en tout cas.

Toutes ces valeurs de la modernité sont partagées par l’orthodoxie   libérale et le mouvement massorti   qui essaient tous deux de les intégrer au judaïsme dans une pratique quotidienne, non sans provoquer de houleux débats sur les modalités de la mise en pratique.
Si on regarde de plus près, la démarche est plus ou moins la même. Cela est vrai pour la question de l’homosexualité, du rapport à la critique biblique et de bien d’autres sujets.

Le mouvement massorti   voit dans la tradition une valeur essentielle, ce qui passe en diaspora par l’attachement à la langue hébraïque dans les prières par exemple, ce qui ne représente pas une valeur halakhique mais bien un attachement à une tradition et à une langue, donc une identité. Mais cela n’est pas suffisamment accompagné de connaissance en Tora par le manque de motivation à l’étude de la plupart du public « modernisé ». Mais ce problème se trouve également dans les rangs de l’orthodoxie   libérale.

Le pluralisme et l’égalitarisme représentent également des valeurs partagées. Dans les deux mouvements on trouve une grande ouverture au monde non juif, un sens du dialogue, une recherche de l’amélioration de la condition féminine, ou encore la prise en compte du droit à l’existence et le respect d’un monde laïc non religieux. Aussi bien l’orthodoxe   libéral que le massorti   a du mal avec des concepts traditionnels largement utilisés par l’orthodoxie   comme le concept de « l’enfant captif » (tinok shenishba, un enfant capturé par les non juifs qui ne connaîtrait rien au judaïsme) pour désigner le non religieux qui devrait revenir rapidement à une pratique rigoureuse (pour peu qu’il se mette à comprendre, à sortir de son infantilisme ignorant). Et c’est bien là un des défis pour les deux camps : produire un langage religieux acceptable et respectueux vis-à-vis du non religieux, sans le paternalisme classique à l’orthodoxie  .

Nous avons également en commun le souci de créer des communautés chaleureuses et que la synagogue ne soit pas qu’un lieu de prière, mais bien un lieu de rencontre.

Nous avons le souci commun d’être accessibles à tous, aussi bien les handicapés, les femmes, les familles recomposées, les mères célibataires, les homosexuels, ceux qui ne sont pas juifs pour la Halakha  , ceux qui ne sont pas religieux du tout, les enfants adoptés… Mais c’est ici, à mon avis, que le fossé entre nous se creuse car le degré d’ouverture n’est pas le même.

Le mouvement massorti   cherche à toucher le public le plus large possible et se considère à son service également, ce qui ne va pas sans quelques concessions ; alors que l’orthodoxie   libérale cherche plutôt à conserver un certain isolement protecteur. En Israël en particulier, le public du mouvement massorti  , même s’il se trouve de facto pratiquant, ne se range pas parmi le « camp religieux » mais bien parmi la société israélienne au sens plus large.

Aussi bien l’orthodoxe   libéral que le massorti   voit dans l’Etat d’ Israël actuel un réel accomplissement. On hésite par contre à définir cet Etat comme la réalisation d’une rédemption divine ou seulement comme la réalisation humaine d’une prophétie divine. Dans les synagogues massorti  , dans la prière pour l’Etat d’Israël, on ne dit pas en général de l’Etat d’Israël « qu’il est le début de la rédemption », mais on souhaite « qu’il soit le début de la rédemption »… nuance qui exprime parfaitement le souhait du mouvement massorti   de voir l’Etat d’Israël s’améliorer et devenir un lieu de plus grande justice sociale et de paix.

L’orthodoxe   libéral éprouve avec le massorti   le même attachement pour la démocratie, le même souci pour les droits des minorités (y compris les homosexuels largement vilipendé par l’orthodoxie  ), la même inspiration à plus de justice sociale. Nous avons également le même attachement au principe d’un Etat de droit et le même respect pour ses institutions comme celle de la Cour Suprême contrairement à une bonne part des rabbins   de l’orthodoxie   qui y voit un défi contre la religion et ne cesse de vilipender cet Etat de droit et d’en contourner les règles quand c’est nécessaire. Nous avons également le même souci vis-à-vis du respect des droits de la minorité arabe en Israël, contrairement à la plus grande partie du camp national orthodoxe   et du monde Haredi  .

Mais bien plus encore, nous avons le même souci de voir l’Etat servir tous ses citoyens et l’intérêt commun et non pas être l’instrument pour le profit d’un groupe particulier. Cet attachement à l’intérêt général plutôt que sectoriel cause des torts aussi bien aux rabbins   massorti   qu’aux rabbins   orthodoxes   libéraux qui du fait de leur refus d’organisation en groupes de pression politique, se voit refuser tous les postes officiels payés par l’Etat, contrairement aux rabbins   orthodoxes   des différentes factions qui s’appuient sur les partis politiques orthodoxes   pour contrôler les budgets étatiques. Et c’est là que nous devons collaborer, non pas pour créer un groupe de pression politique supplémentaire, mais pour défendre une certaine idée de l’Etat, pour créer un débat public de qualité.

Israël d’aujourd’hui a besoin d’un nouveau discours, d’une autre idée du judaïsme afin de pouvoir exprimer véritablement son aspect juif et démocratique. C’est de nos rangs que ce discours peut surgir. Mais pour ce faire, il faut briser la ligne invisible qui nous sépare du fait des habitudes et des idées reçues, il faut au contraire regarder tout ce qui nous rassemble. Cela afin de créer une société israélienne à la fois plus juive, mais aussi plus démocratique, plus ouverte, plus tolérante, afin qu’Israël soir un lieu où il fait mieux vivre.

Rabbin   Avraham Novis-Deutsch

Traduction de l’hébreu par Yeshaya Dalsace, article paru dans Deot revue du mouvement orthodoxe   libéral (ou modern orthodoxe  ) Ne’emanei Torah Va’Avodah

http://www.toravoda.org.il/en/NTA_French

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