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Jérusalem la pieuse contre Tel-Aviv la profane

Jérusalem la pieuse contre Tel-Aviv la profane

Le fossé se creuse en Israël entre ultra-orthodoxes   et juifs laïcs. Aux scènes d’intimidation des premiers succèdent les provocations des seconds.

Jérusalem et Tel-Aviv s’opposent ainsi et deviennent des refuges pour les partisans de la stricte observance religieuse ou de la permissivité.

La scène se passe à Jérusalem-Ouest, côté juif. En ce vendredi, les tout derniers rayons de soleil de la journée annoncent le début prochain du shabbat. L’Uganda, un bar « tendance » de la ville, est malgré tout fréquenté par ses habitués : de jeunes Israéliens laïcs qui, tout en sirotant une bière, aiment à échanger des disques et discuter des concerts programmés pour la soirée. Un Israélien ultra-orthodoxe   entre. Vêtu de noir, il arbore une barbe broussailleuse parfaitement taillée et un chapeau de feutre à larges bords. Il s’adresse au barman : « Je te parle de juif à juif. Tu restes ouvert pendant shabbat. Tu le sais, cela blesse mes convictions. Alors fais un effort : ferme. Sinon ne t’étonne pas si, un jour, quelqu’un met le feu à ton établissement. »

L’homme tourne les talons et s’en va, sous le regard quasi indifférent des clients. Ici, la scène est habituelle. Le barman confie peu après que « de toute façon, c’est comme ça toutes les semaines ».

À Jérusalem, les tensions entre juifs laïcs et ultra-orthodoxes   sont quotidiennes : un fossé culturel, social, religieux et idéologique sépare les deux franges de la population. Ces derniers jours, les tensions ont monté d’un cran. Et cette fois-ci, elles ont pris une ampleur nationale après que le rabbin   Ovadia Yosef eut déclaré au terme d’un sermon, que « les soldats morts au cours de la Seconde Guerre du Liban, l’ont été parce qu’ils ne font pas shabbat, n’observent pas les commandements de la Torah et ne prient pas tous les jours. » Ces propos auraient presque pu passer inaperçus s’ils n’avaient été prononcés par le chef spirituel du « Shass », le parti des orthodoxes   juifs séfarades qui disposent de douze députés au Parlement israélien (10 % du total) et sont ralliés à la coalition gouvernementale emmenée par le Premier ministre Ehud Olmert.

Le Shas n’en est pas à son premier coup d’éclat : après l’incendie criminel qui a ravagé un crématorium, il y a plus d’un mois (la crémation est prohibée par la religion juive), le parti a sauté sur l’occasion pour réclamer une loi, « mettant un terme aux volontés de ceux qui veulent mettre en place une nouvelle Solution Finale dans le pays ». En Israël, le « ciment » de la société repose sur deux principaux piliers, l’armée (Tsahal) et la mémoire. Aussi, pour des raisons idéologiques dues à la stricte observance du judaïsme, les ultra-orthodoxes   ou « haredim   » sont exemptés de service militaire. En se permettant des déclarations jugées réactionnaires par bon nombre d’Israéliens sur la mort des soldats et en instrumentalisant la mémoire de l’Holocauste (la référence aux fours crématoires est explicite), l’identification de la population laïque à celle des orthodoxes   semble de plus en plus impossible.

« Les orthodoxes   connaissent une forte progression démographique. Le taux de natalité est bien plus élevé que celui de la moyenne juive nationale. 6,8 enfants par famille contre 3,2, note Denis Cherbit, professeur de sciences politiques à l’Université de Tel-Aviv. « Il y a encore 20 ans, l’interaction avec les laïcs était nulle et ils vivaient dans des zones dont ils ne sortaient quasiment jamais. Aujourd’hui, c’est différent, ils s’expriment, circulent et sont visibles dans les médias. Certains multiplient aussi les stratégies d’insertion " et d’intimidations chez les laïcs. Pour eux, cette population est fragile et susceptible de tomber dans leur escarcelle ».

Conséquence de cette radicalisation : chaque année, plusieurs centaines de Jérusalémites fuient cette ville trois fois sainte, son économie en berne et la dégradation de sa qualité de vie - l’intolérance de sa population religieuse est souvent invoquée - pour Tel-Aviv et ses environs. Car à une soixantaine de kilomètres de « Jérusalem la pieuse », « Tel-Aviv la profane », elle, offre un vrai bol d’air frais. Une anecdote illustrant cette bipolarisation des communautés : il y a un an, lors des manifestations orthodoxes   homophobes qui précédaient la parade gay à Jérusalem, une synagogue de Tel-Aviv avait été taguée : « Si vous ne nous laissez pas marcher à Jérusalem, vous ne marcherez plus à Tel-Aviv. »

Jérusalem « ne sera peuplée que de religieux »

Aussi, c’est dans le quartier ultra-religieux de Méa Shéarim, à Jérusalem, que le rabbin   Kahn tient à donner son point de vue sur le phénomène : « Ceux qui partent de Jérusalem ont oublié le sens de leur présence ici, sur la Terre Promise. Israël est en crise et 60 ans après sa création, les Israéliens aspirent à une vie " normale " ce qui, du fait même de leur nationalité et leur religion leur est impossible. » Comment voit-il la Ville Sainte dans dix ans ? « Au rythme où va la démographie jérusalémite, il est sûr que la ville ne sera peuplée que de religieux » , estime ce rédacteur en chef d’une revue orthodoxe  .

Denis Cherbit tient, quant à lui, à pondérer : « Il y a trente ans, rien n’était ouvert dans le pays pendant shabbat. La société israélienne est devenue plus libérale. Et du point de vue des orthodoxes  , c’est un échec total. Alors quand un crématorium brûle, ils ne peuvent que s’en réjouir, puisque de leur point de vue, s’il en existe un aujourd’hui, il y en aura 150 dans dix ans ! »

La ville devient « un Téhéran juif »

Dans la presse israélienne, un professeur de psychologie a proposé ironiquement une partition fédérale du pays : « Dans la partie du " Liberaland ", il existera le droit à la crémation, à l’avortement. Les homosexuels auront aussi le droit de se marier en présence d’un rabbin  . De l’autre côté, le " Haredistan " pourra prohiber la crémation, le non-respect du shabbat et les universités pourront empêcher l’enseignement de matières condamnées par les tribunaux rabbiniques. » À Jérusalem, la sirène retentit. La période de shabbat vient de commencer. Aux abords du bar l’Uganda, Neta, une habituée, confie : « Ici, avec le temps, l’intolérance est telle que nous avons parfois l’impression que cette ville est en train de devenir un véritable Téhéran juif. »

Point de vue Massorti  

Nous ne pouvons que souhaiter un peu plus de raison et moins de fanatisme, mais la lutte n’est pas simple. Le mouvement Massorti   en Israël se bat pour promouvoir un Judaïsme ouvert et pluraliste. Pas vraiment le gout du jour...

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