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Le bien et le droit

Le bien et le droit

Parashat Reé -

Au chapitre 12 du livre du Deutéronome, le verset 28 s’énonce ainsi : "Garde et écoute toutes ces paroles que je t’ordonne, afin que les choses s’améliorent pour toi et pour tes fils après toi à jamais, car tu feras le bien et le droit aux yeux de l’Eternel ton Dieu".

A priori, ce verset ne présente pas vraiment de difficulté. Si l’on accomplit l’ensemble des commandements transmis par Moïse, notre situation ira de mieux en mieux, car le fait d’accomplir les commandements c’est réaliser ce que Dieu désire. Cependant, en y regardant de plus près, la formule employée pour désigner la "satisfaction" de Dieu n’est pas vraiment claire : hatov véhayashar, le bien et le droit (ou encore le juste) sont-ils simplement une répétition qui n’apporte rien de plus, un simple effet de style ? Ou bien, au contraire, s’agit-il de deux approches différentes, qui devraient se compléter ?

Rabbi Akibba, un des grands maîtres du deuxième siècle de notre ère, pensait que chaque mot de la Torah était sacré et que chaque détail était porteur de signification. Pour lui, il était évident que l’idée de "bien" et l’idée de "juste" étaient des exigences différentes. Dans le midrash  , il explique que "le bien" se doit d’être accomplit aux yeux du ciel, tandis que ce qui est droit, "le juste", doit être effectué aux yeux des êtres humains. Son collègue, Rabbi Ishmaël, croyait lui que la Torah avait été donnée dans le langage des hommes, et qu’il ne fallait pas rechercher du sacré derrière chaque détail et chaque doublon. Dans le même midrash  , il rétorque à Akibba en disant "le juste (doit être accomplit) aux yeux du ciel".

La compréhension de cette "dispute" entre les deux Rabbins   n’est pas évidente, et nombre de commentateurs à travers les générations ont préféré l’exposer sans chercher à trancher véritablement ce qui les oppose.

Essayons cependant de mieux comprendre ce qui est en jeu.
Si nous replaçons les choses dans leur contexte, on peut penser que ces deux maîtres se posent la question de la nature même de l’observance des commandements. Dieu nous a demandé de les accomplir, mais ce faisant, quel est mon but en pratiquant la Torah. On sait qu’il existe dans le Judaïsme des positions radicalement différentes. Pour certains, l’observance des commandements n’a qu’un but, l’obéissance à Dieu. Je ne dois pas faire les choses dans l’espoir d’en tirer une récompense, mais uniquement parce que Dieu me l’a commandé. Maïmonide   abondait clairement dans ce sens, considérant que les "promesses" contenues dans la Torah n’existaient que pour aider les gens simples qui n’auraient pas accompli les commandements sans espoir d’une "carotte" ou sans crainte du "bâton". Mais tout celui qui réussi à se développer intellectuellement comprend l’inanité de ces promesses, et passe à la foi véritable, l’accomplissement pour Dieu comme but unique. Il semble que ce soit ici la position de Rabbi Ishmaël : pour lui tout se rapporte au ciel, que ce soit le bien ou le juste. L’une des conséquences de cette approche est la dissociation entre éthique et Loi. Je fais les choses parce qu’on me demande de les faire, non parce qu’il est juste de les faire.

D’autres autorités, et on peut penser que c’est là l’approche de Rabbi Akibba, considèrent que l’enjeu de la Loi ne se positionne pas exclusivement sur l’axe qui relie l’homme à Dieu, mais qu’un élément intervient qui vient troubler cette relation bipolaire : l’existence de l’autre, de l’humain qui me côtoie. Pour Rabbi Akibba, il n’est pas suffisant de faire le bien tel que Dieu me le demande, il faut encore que ce bien soit perçu comme juste par les autres hommes. On comprend la conséquence de ce regard par rapport à la Halacha, à l’application de la Loi. L’éthique, la morale, deviennent soudain des éléments qui vont agir sur l’accomplissement des commandements et, au gré des circonstances, m’entraîner à adapter "le bien" absolu que Dieu m’a transmis à ce qui paraît "droit" aux êtres humains de ma génération. Cette approche plus humaine est soutenue par un verset des Proverbes (3, 4) que nous reprenons chaque jour dans la bénédiction du repas : "et tu trouveras grâce et bon vouloir aux yeux de Dieu et des hommes". Car la Torah ne nous a pas été donnée pour l’accomplir en solitaire, tel un ermite réfugié dans le désert, mais pour être un élément déterminant de notre vie et de la construction de notre société "afin que les choses s’améliorent pour toi et pour tes fils après toi à jamais".

Rabbin   Alain Michel – Rabbin   Massorti   à Jérusalem et historien

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