La philosophie et la cabale

L’arrivée de la pensée grecque, et dans une moindre mesure arabe, a modifié les méthodes et les débats.

L’arrivée de la pensée grecque, et dans une moindre mesure arabe, a modifié les méthodes et les débats.

  Philon d’Alexandrie
  Les géonim des 7è-8è siècles
  Saadia Gaon auteur de « Emounot » (croyances), c’est une explication du judaïsme pétrie de culture grecque
Question de l’anthropomorphisme. Pourquoi avoir décrit l’homme comme créé à l’image de D. Dire que n’a pas de corps, c’est une notion grecque, cela ne vient pas de la Bible qui le décrit beaucoup de manière corporelle. Il est un être immuable, tout puissant, omniscient et parfait. Mais s’il sait déjà tout ce qui va se passer, pourquoi prier ? Il y a une contradiction philosophique majeure entre Torah et raison.

Le travail d’harmonisation est encore d’actualité. C’est celui de la pensée juive ou philosophie juive. Faire en sorte qu’intelligence, raison humaine et Révélation se rencontrent et s’harmonisent. Un des grands penseurs juifs est Maimonide, il n’est ni le premier ni le dernier mais un des plus grands. Maimonide ne pouvait concevoir qu’on approche le judaïsme sans la philosophie et il a donc pensé que la philosophie ne venait pas des Grecs mais du judaïsme.

Les juifs ont été très influencés par la civilisation grecque, puis par la diaspora. Très souvent, les processus d’assimilation sont inconscients. Ex : mettre le coude sur la table à Pessah vient de l’hellénisme. À l’époque, chez les Grecs et les Romains, les hommes libres mangeaient sur des litières en étant accoudés. De même le culte loubavitch utilise des marches napoléoniennes comme chants liturgiques. Mais cette influence ne dépasse pas certaines limites = le paganisme.

Le peuple juif est porteur de l’universel (sa vocation) => il a intégré en lui toutes certaines dimensions de l’humanité, de ses composantes humaines. Il capte à l’extérieur ce dont il a besoin à l’intérieur pour vivre. C ;f. : Ruth qui devient juive et est même devenue digne d’être matriarche et l’ancêtre du Messie. De même dans le Midrash, on lit que la diaspora est destinée à aller chercher toutes les âmes dispersées sur la terre en vue du jugement dernier. Certains des meilleurs « produits » du judaïsme sont issus de l’assimilation dans le peuple juif de personnes étrangères et converties. Cependant trop de conversions risquent de mettre en danger la communauté juive. Mais la conversion en elle-même est bonne et n’est pas honteuse.

À côté de la philosophie, on trouve une autre branche dans le judaïsme, la cabale. Déjà dans la Torah, on trouve des « rencontres du troisième type » : Abraham et les 3 anges, le combat de Jacob, Moïse et le Buisson Ardent, etc. Ces miracles ou révélations étonnent les protagonistes.

Ce que nous percevons du monde n’est en fait qu’une surface. Il y a un univers caché et non immédiatement perceptible. Ainsi un être humain n’est pas seulement un « masque de chair » mais tout un « monde » qu’on n’épuise jamais et qui se modifie sans cesse.

Il en est ainsi pour toute la réalité du monde dans l’univers biblique. Idée que le monde est habité par une intelligence qui organise, qui n’est pas aveugle. Il est habité par une conscience. Il y a quelqu’un, de l’être derrière toute chose, une réalité ultime qu’on appelle D. mais qui se manifeste de tout un tas de manières.

La mystique, c’est le désir de percer la surface, voir derrière. C.f. : les prophètes  visions, états de transe. Beaucoup essaient d’entrer en contact avec ce qu’il y a derrière. Ce type de mystique peut être dangereuse (charlatans, expérience proche de la folie) mais précieuse pour qui sait s’y prendre. Comment entrer en contact ? Par des prières spéciales, des pauses, des respirations, des postures, des répétitions de mots + une certaine manière d’étudier les textes, comme un graphologue qui ne regarde pas ce que l’on a écrit mais comment.

Les réalités de la matière + les réalités de l’esprit => un univers complet (D., archanges, anges, chérubins, démons, forces.)

Ce sont des expériences individuelles partagées dans des confréries. Il faut un long itinéraire, de nombreuses années d’étude, plus qu’une grâce, un tempérament et du travail.

Vient du mot lekabel = recevoir. Cabale = réception. En hébreu cela signifie aussi la tradition. C’est un enseignement très ancien. Pour les cabalistes, cette tradition remonte à des temps très anciens. = tradition ésotérique.

La cabale essaie de comprendre la relation de D. au monde. C’est une vision plus intérieure, plus pénétrante de notre raison d’être sur terre. Pour mieux rencontrer D. et connaître sa vie interne. Un peu comme la science qui essaie de déchiffrer la vie interne de la matière.

Mais la cabale n’est pas une science. Elle appartient au domaine purement spirituel. A partir des éléments superficiels qu’on peut connaître, on essaie de comprendre ce qui est caché, des vérités plus profondes. Dans la vie des personnages, on peut lire des indices de choses plus profondes. Comme avec un visage que l’on voit différemment quand on connaît les gens de mieux en mieux.

Pour Maimonide, quand on parle de la main de D. c’est une métaphore. Cela veut dire la puissance, la force de D. C’est un anthropomorphisme pour que l’on comprenne certaines choses. Maimonide interprète ces métaphores comme des allégories. Ses critiques lui reprochent sa rationalité. La faiblesse de ce type de pensée est qu’elle remet tout en cause.

Même au Moyen Age, quantité de choses posaient problème sur le plan rationnel. La Bible est le langage dans lequel D. s’est expliqué pour les hommes. Ce n’est pas un livre de science, ni d’histoire. Elle a sa force dans le domaine des valeurs.

Pour les cabalistes, c’est notre main qui est une métaphore de la main de D. L’homme n’est que le reflet du corps de D. Ainsi nous pouvons comprendre certains aspects du divin, comme un chien comprend l’ordre assis sans savoir tout ce que ce terme veut dire.

Le Zohar est le grand texte de référence. On trouve déjà dans le Talmud des références à des textes ésotériques. La tradition l’attribue à un maître du IIe siècle, rabbi Shimon Bar Yohai. Or on trouve dans le Zohar des références à des rabbins et des textes ultérieurs. En outre le style est un araméen plus tardif. On pense que c’est Moshé de Léon qui l’a écrit mais il aurait repris l’enseignement reçu de ses maîtres. C’est un texte qui s’est transformé au cours des siècles.

Monothéisme et interprétations :
  Dans la Torah  Un D. tout puissant qui crée le monde. Il ne faut servir aucun autre dieu. Mais on a l’impression qu’il y en a d’autres (c.f. psaume 82). Plutôt une sorte d’hénothéisme, ce qui consiste à n’honorer qu’un seul dieu. Que signifie exactement « l’Eternel est Un » ? Le mot Elohim est un pluriel, mais le verbe est au singulier. C’est un impératif de ne servir qu’un seul dieu. L’interdit de l’idolâtrie est capital.
  Dans le Midrash  On a une idée plus précise de D. Une image qui se transforme. Le texte va plus loin que la Bible dans les images utilisées pour parler de D. Ainsi on décrit D. comme mettant les téfilines le matin. D. se parle à lui-même. Ces images ont pour but de nous aider à appréhender d’autres réalités, mais on a perdu la clef qui permet de comprendre ces images.
  Dans la Mishnah  On doit bénir D. pour les joies mais aussi pour les malheurs. Une des conséquences du monothéisme est que D. est responsable de ce qui est bien comme de ce qui va mal. Si la dualité peut être réduite, le mal aussi. De même on doit réciter le shéma le matin et le soir car c’est le moment où l’on passe d’une réalité à une autre. C’est à ce moment charnière qu’il faut se rappeler le monothéisme. De même, quand on meurt on récite le shéma ou on le fait réciter par quelqu’un d’autre si l’on en n’a pas la force ; on passe d’un monde à un autre monde. C’est la même chose pour la mézouzah ou pour les téfilines qui sont près de la tête et sur le bras.

Tronc central = droit juif. Répond à la question : qu’est-ce que D. ordonne que nous accomplissions ? Et ce pas uniquement dans le domaine rituel. La loi est le fondement d’un engagement avec laquelle on dialogue. On traduit en actes et avec son être le fait d’être juif. L’islam partage cette particularité avec le Judaïsme.

Cependant les spéculations de type spirituel (philosophie et cabale) ne sont pas des détails. L’étude de la Torah occupe une place centrale dans le Judaïsme. C’est sa nourriture spirituelle mais l’étude de la Halakha, de la philosophie et de la cabale a son importance.

Comprendre le sens du monothéisme a des implications et se traduit dans la vie d’une personne. La fonction du mal est une des questions liée au monothéisme.

Les grands penseurs ont essayé de se représenter le monothéisme. L ». Souvent nous pensons en termes très proches de la philosophie grecque  un D. parfait est immuable. C’est ainsi, par exemple, que Maimonide se représente D. Cette représentation pose la question de « l’efficacité de la prière. Au Moyen Age, on craint de tomber dans l’anthropomorphisme dans la représentation divine. Donc la prière n’a un sens que si elle permet de capter du divin

Dans la Bible, le D. mis en scène n’est pas juste le grand horloger. Il a une conscience. La création est un acte volontaire de la part de D. qui ainsi crée de l’altérité.

La cabale s’est opposée à cette conception absolutiste de Maimonide. « D. est un » ne signifie pas forcément que D. est statique, homogène et uniforme. D. peut être un dans le sens d’une unité interne, mais qui aurait des « reliefs ». (c.f. croquis). Les 10 sefirot = 10 degrés de réalité par lesquelles la divinité entre en relation avec le Monde.

Certains philosophes juifs ont accusé les cabalistes d’être des Chrétiens. Mais pour les cabalistes, il n’y a pas plusieurs personnes à l’intérieur de la divinité. La puissance de D. tient en ce qu’il peut interagir avec le monde.

Croquis :
Kether  correspond à la tête
Bina & Hokhma  comme 2 côtés du cerveau
Tifereth  tronc
Dina & hesed  les membres supérieurs
Hod & netsah  les membres inférieurs
Yesod  organe sexuel mâle
Malkuth  organe sexuel femelle

Le fait que l’homme soit sexué reflète la divinité de D. En chacun de nous, il existe une dominante qui indique le sexe de l’individu. Ainsi l’homme n’est complet que lorsqu’il rencontre son partenaire sexué. L’homme est un être composite qui comprend deux personnes.

En créant le monde, D. a exilé quelque chose de lui-même. Il a créé ce rapport duel. L’homme primordial est une sorte d’androgyne qui comportait en lui les deux dimensions. C’est la même chose avec la création, D. crée une relation avec une autre entité que lui-même. Il construit une relation avec les hommes. Il ne reste pas impassible. Si l’homme « bouche » des canaux de communication avec D., il y a aussi des canaux de communication qui se « bouchent ». D. ne peut pas être pleinement D. si l’homme n’est pas pleinement homme.

Pour les cabalistes, des tensions internes se créent à l’intérieur du monde divin. Les commandements divins permettent que D. soit en pleine harmonie. De la même façon, Yesod peut s’unir avec Malkuth ; l’acte d’amour/sexuel contribue à unifier la divinité elle-même.

C.f. croquis : un axe central. La partie gauche est celle de la rigueur, l’exigence, la discipline, la dureté, la justice, etc. La partie droite est celle de la générosité, la souplesse, la tendresse, l’amour. L’idéal est un juste équilibre des deux. La recherche d’un bon équilibre est d’ordre anthropologique.

Dans le Judaïsme, deux visions très opposées de la représentation divine se côtoient :
  On ne peut pas donner la moindre forme à la divinité. Ce qui est UN ne peut pas être représenté par quoi que ce soit. Donc on ne peut avoir de discours sur D. que par la négation ; c’est le langage de la théologie négative. D. est un être parfait qui est hors catégories donc il ne peut pas se modifier. Ce sont les êtres humains qui changent dans leur approche de D. mais lui ne change pas.
  À l’inverse, les cabalistes ont considéré l’unité de D. comme quelque chose d’organique. L’homme est une métaphore de D. réduit à un espace particulier. Il est le reflet de la divinité. D. lui-même est affecté par ce qui se passe dans le monde. Il a de l’empathie. Sa relation au monde est foncièrement en rapport avec la manière dont les hommes rentrent en relation avec lui. Il arrive ainsi que D. « sorte de ses gonds » et entre en relation avec les hommes d’une manière que lui-même récuse. L’homme influence D. comme D. influence l’homme. L’unité divine est pensée comme 10 expressions organiques. Cependant D. n’est qu’un, on parle plutôt de pluralité à l’intérieur d’une seule entité. Ainsi le masculin et le féminin sont des sortes de sous catégories à l’intérieur de la divinité mais au-delà de la sexualité. On évoque le concept de « ein sof » (sans fin) = quelque chose qui nous dépasse, l’indéfini qui ne peut être contenu dans aucune définition. Parfois la meilleure façon de parler de D. est de ne pas en parler. Il en découle une certaine proximité entre l’être absolu et le néant. C.f. le penseur israélien Aser Kasher qui se dit athée mais également opposé à toute forme d’idolâtrie ; c’est-à-dire qu’il refuse d’ériger aucun élément du monde en modèle. Dans la mesure où croire c’est être relié à un système de valeurs, on peut se retrouver assez proche de la conception de cet homme.

Bibliographie :
  Les grands courants de la mystique juive, Gershom G. Scholem
  Cabale et cabalistes, Charles Mopsik