La justice a condamné un médecin pour une ablation de prépuce à des fins religieuses. Une décision qui inquiète les communautés juives et musulmanes.
Un tribunal de Cologne (ouest) a en effet estimé que la circoncision d’un enfant pour des raisons autres que médicales est une « blessure corporelle », passible d’une condamnation.
En novembre 2010, un médecin de Cologne avait procédé à la circoncision d’un garçon de 4 ans, à la demande des parents musulmans de l’enfant. En Allemagne, dans les grandes villes, des cabinets médicaux généralement tenus par des médecins musulmans ont fait des circoncisions religieuses leur fonds de commerce.
Le jeune garçon de Cologne, opéré selon les « règles de l’art », est pourtant présenté quelques jours plus tard aux urgences pour des saignements sans conséquence. Mais le ministère public, alerté, décide de porter plainte contre le praticien. Condamné, le médecin n’ira pas en prison, car il ne pouvait savoir qu’il agissait contre la loi : en Allemagne, un vide juridique entourait la circoncision à des fins non médicales. « Dans ces conditions, l’erreur du médecin était inévitable », estime le juriste Holm Putzke, de l’université de Passau, engagé depuis 2008 contre les circoncisions religieuses sur de jeunes enfants.
A Cologne, le tribunal a décidé que « le droit des enfants à ne pas subir de mutilation irréversible » pèse plus lourd que les choix religieux de leurs parents.
La circoncision n’est donc pas interdite en tant que telle, mais elle doit être pratiquée à un âge où l’enfant peut décider lui-même de son choix religieux. Les juges admettent que la circoncision, en tant qu’acte manifestant l’appartenance à un groupe culturel ou religieux, « peut éviter qu’un enfant ne soit stigmatisé dans sa communauté ».
Les juges admettent également que l’acte chirurgical permet de limiter les risques de cancer et d’autres infections, « un aspect particulièrement pris en compte aux Etats-Unis », où les bébés de sexe masculins sont, dans une forte proportion, circoncis à la naissance. Mais, insistent les juges allemands, « une telle mesure de prévention n’est pas justifiée en Europe » au cours de la petite enfance.
Le droit à disposer de son propre corps prime donc sur la liberté des parents à élever leur enfant comme bon leur semble. Selon des estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 30% des garçons de plus de 15 ans sont circoncis à travers le monde.
« Ce jugement marque une césure », estime Holm Putzke. A l’avenir, les tribunaux ne seront pourtant pas liés par ce jugement, puisque l’arrêt n’a pas été rendu par la Cour constitutionnelle ou la Cour fédérale de justice, mais il donne un signal que d’autres cours de justice pourraient être tentées de suivre.
Les médecins savent que, désormais, leur assurance ne les couvrira pas en cas de complications. Cette décision judiciaire est donc très importante pour les praticiens, qui ont, pour la première fois, une base légale sur laquelle s’appuyer.
Le médecin de Cologne a eu de la chance d’échapper à la prison, mais, à partir de maintenant, aucun docteur ne pourra prétendre ignorer qu’il est interdit de circoncire un jeune garçon si sa santé ne le nécessite pas.
De fait, la décision judiciaire de Cologne a provoqué une véritable levée de boucliers. Le Conseil central des juifs d’Allemagne parle d’une « atteinte sans précédent et dramatique à la liberté religieuse ». Le président du conseil, Dieter Graumann, appelle ainsi le Bundestag, le Parlement allemand, à légiférer pour garantir la liberté religieuse. « Ce jugement est un obstacle à l’intégration et est discriminant pour les personnes concernées », considère pour sa part Ali Demir, le président de la communauté musulmane de Cologne, qui redoute un « tourisme de la circoncision » vers les pays voisins de l’Allemagne.
Quatre millions de musulmans, essentiellement des Turcs, vivent en Allemagne. Au niveau politique, les verts condamnent eux aussi la décision de la cour de Cologne.
Plusieurs fédérations allemandes de médecins ont demandé le report sine die des circoncisions d’enfants pour motifs religieux, après le jugement d’un tribunal allemand déclarant cette pratique illégale.
Dans son édition du 1er juillet, le Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung rapporte que la Fédération des chirurgiens pour enfants a recommandé dans un courrier à ses membres de ne pas réaliser de circoncisions pour motifs religieux.
Le président de la Chambre des médecins allemands, Frank Ulrich Montgomery, a, quant à lui, fait part de son intention « d’alerter dorénavant (ses) membres des risques qu’ils encourent » si ceux-ci décident de braver la loi. Et la Société allemande de chirurgie a recommandé aux parents juifs et musulmans d’attendre que leur enfant soit en âge de décider.
La position officielle du mouvement massorti
29 Juin 2012
Masorti Olami, Masorti Europe et l’assemblée Rabbinique d’Europe (regroupant les rabbins massorti européens) s’associent au conseil central des juifs d’Allemagne pour condamner la décision du Tribunal de Grande Instance de Cologne d’interdire la circoncision des nouveau-nés.
La circoncision à l’âge de huit jours des garçons demeure un rite important et significatif dans la vie des juifs dans le monde entier. Aucun autre pays n’a interdit la circoncision et cette nouvelle décision légale porte atteinte à la liberté religieuse des citoyens allemands, qu’ils soient juifs ou musulmans, et affecte le droit d’autres parents qui souhaiteraient faire circoncire leurs fils.
La Brit Mila, tel est le nom que porte la cérémonie de circoncision en hébreu, est l’une des premières mitsvot (ou commandements) demandés par Dieu à Abraham. De même qu’Abraham a respecté ce commandement, les juifs ont fait de même au cours de milliers d’années. Alors que le mouvement massorti veille constamment à l’équilibre entre les exigences de la modernité et celles de la halacha (ou loi juive), il n’y a pas en ce domaine de preuve décisive que la circoncision des nouveau-nés causerait un « dommage irréversible au corps » comme l’a déclaré la Cour allemande dans sa décision. Bien au contraire, la recherche médicale a démontré que la circoncision pouvait diminuer les risques d’infections HIV, de cancer du pénis ainsi que d’autres maladies des voies urinaires.
Plus de 1,7 million de personnes dans les 900 communautés et organisations dans 45 pays que représente le mouvement massorti international en appellent au gouvernement allemand pour qu’il mette tout en œuvre au plus vite pour renverser cette cruelle décision qui limite la liberté religieuse et dicte ses comportements aux communautés confessionnelles.
Rabbi Jonathan WITTENBERG President of the Rabbinical Assembly of Europe
Rabbi Gesa EDERBERG Rabbinic Advisor of Masorti Germany
Dr. Joanna KUBAR President of Masorti Europe
Rabbi Chaim WEINER Av Bet Din and Director of Masorti Europe>
Rabbi Gerry SKOLNIK President of the International Rabbinical Assembly
Rabbi Julie SCHONFELD Executive Vice President of The International Rabbinical Assembly
Alan SILBERMAN President of Masorti Olami
Rabbi Tzvi GRAETZ Executive Director of Masorti Olami
Une analyse approfondie
Voici un très bon article de Dov Maimon & Nadia Ellis
La crise de la circoncision : le judaïsme saura-t-il y répondre ?
Dov Maimon & Nadia Ellis
RÉSUMÉ
Dans un contexte de transition démographique, lié notamment à un afflux massif en Europe de populations non européennes, la récente tentative d’interdire la circoncision en Allemagne peut être considérée comme le dernier aspect juridique en date d’un mouvement paneuropéen de réaction identitaire contre le multiculturalisme. Bien qu’apparemment dirigée principalement contre les musulmans, cette opposition nouvelle et vigoureuse aux particularismes rituels affecte également les pratiques religieuses et le statut symbolique du judaïsme. A ce titre, ce mouvement d’exclusion peut porter atteinte à l’aptitude du judaïsme de se vivre comme partie intégrante de la vie culturelle européenne et menacer sur le long terme, la présence juive sur le vieux continent.
Même si chaque restriction particulière de la vie juive semble être ancrée dans des valeurs universelles et motivée par des intérêts collectifs légitimes, leur effet cumulatif ne présage rien de bon pour l’avenir des communautés juives. On notera notamment l’interdiction allemande récente de la circoncision (soutenue par 45% des Allemands et se fondant à la fois sur une exigence liée aux droits de l’homme et sur une argumentation médicale), l’interdiction de l’abattage rituel juif (déjà effective en Suisse, en Suède, en Norvège et en Islande – se fondant sur une revendication liée aux droits des animaux), le projet de suppression des concessions funéraires perpétuelles (en Suisse, se fondant sur des considérations environnementales), le rejet des demandes d’adaptation des examens universitaires aux exigences du calendrier juif (en France et en Suisse, reposant sur une allégation de séparation de pouvoir entre l’Église et l’État), le rejet des demandes de mécanismes d’accès non-électriques dans les copropriétés privées (en France, reposant sur des exigences de sécurité), le réexamen à la baisse des financements publics des institutions culturelles juives (en France et d’autres pays, reposant sur des exigences d’équité avec les autres groupes culturels), la pression croissante sur les écoles juives (dans toute l’Europe, reposant sur une exigence de non-discrimination ethnique). Prises ensemble, ces mesures rendent la vie sociale des Juifs pratiquants de plus en plus compliquée.
La réponse juive à ces obstacles à la vie juive religieuse consiste traditionnellement à trouver un arrangement particulier en faisant usage de relations privilégiées avec des gens de pouvoir. Des personnalités d’origine juive, voire des rabbins ou des dirigeants communautaires – continuant la tradition médiévale des juifs de cour – approchent les politiciens locaux et leur demandent d’intervenir. Cependant, dans un monde qui devient de plus en plus mondialisé au niveau juridique, et dans lequel chaque précédent juridique peut faire jurisprudence, il serait peut être sage pour les dirigeants communautaires juifs à travers le monde et les décideurs politiques israéliens de se concerter pour penser un mécanisme de défense multidisciplinaire, coordonné et professionnel.
Penser une réponse juive appropriée à ce phénomène exige d’emblée de se mesurer à des questions analytiques et des dilemmes de plusieurs sortes :
Politique – Il est important de faire la distinction entre les actions entreprises par le peuple juif dans son ensemble, par la communauté juive américaine et par les instances politiques israéliennes : les motivations des uns et des autres peuvent différer et c’est ici que réside l’un des points délicats de la question. Est-il souhaitable que l’Etat hébreu s’implique directement ou indirectement dans les affaires de la diaspora ? Les personnalités politiques de premier plan doivent-elles aborder cette question avec leurs homologues européens ? Le Judaïsme américain doit il sommer le Congrès américain et le Bureau du Département d’Etat de la liberté religieuse dans le monde à questionner le Parlement européen sur ce point ?
En outre, est-il sage pour les communautés juives démographiquement faibles de former des coalitions avec les communautés musulmanes bien plus importantes ? Quels sont les coûts et les avantages d’une telle stratégie ?
Communautaire – Quels pourraient être les effets cumulatifs – de ce que nous pourrions appeler une délégitimation de la religion juive – sur l’engagement communautaire des juifs les plus engagés et d’autre part de tous les autres qui en sont plus distants ? Quels seront les effets symboliques et concrets sur la vie communautaire ?
Les communautés juives d’Europe doivent-elles adopter un profil haut dans leur lutte pour défendre leurs rituels ou plutôt privilégier un effacement et une politique de laissez-faire ? Doivent-elles appeler à l’intervention d’acteurs internationaux et israéliens, et quelles seraient les répercussions locales de telles interventions ? Les Juifs doivent-ils s’efforcer de montrer à quel point leur judaïsme a été l’une des sources des valeurs universelles et du libéralisme européens, à la construction desquels ils ont contribué ? Enfin, les juifs devraient-ils, deux siècles et demi après leur émancipation en 1791, demander le retour à leurs anciens privilèges de « nations » autonomes, simplement pour se voir garantir leur droit de pratiquer leur culte ?
Moyens - Faut-il établir un organisme juridique international pour combattre les allégations présentes et à venir contre les rites juifs ? Est-il utile ou superflu de mettre l’accent sur la contribution bimillénaire du judaïsme à la civilisation européenne ainsi qu’au patrimoine culturel partagé ? Faut-il former des coalitions avec les nombreux opposants à l’intrusion étatique dans la vie religieuse, et peut-être doit-on refuser une telle ingérence de l’Etat dans les affaires religieuses autour d’une stratégie articulée autour du droit à la liberté religieuse ? Les dilemmes auxquels sont confrontés les décideurs politiques juifs européens sont nombreux.
L’Europe est à un carrefour et nul ne sait si elle deviendra à l’avenir plus ouverte ou plutôt plus réticente à accepter la différence religieuse. Quoi qu’il en soit, le peuple juif doit être prêt à faire face à tous les scénarios possibles.
INTRODUCTION - Un jugement historique
Le 26 Juin 2012, un tribunal de Cologne a acquitté un médecin musulman de faute intentionnelle de la circoncision rituelle d’un petit garçon musulman âgé de quatre ans. Toutefois, le tribunal a jugé que le droit de l’enfant d’être protégé contre des lésions corporelles l’emportait sur les droits religieux de ses parents. En conséquence, le tribunal a considéré la circoncision d’un mineur pour des motifs non médicaux comme un acte criminel. Deux hôpitaux berlinois qui effectuent régulièrement des circoncisions, principalement pour les enfants musulmans mais à l’occasion également pour des nouveau-nés juifs, ont temporairement arrêté la pratique.
Le 9 Juillet, la Commission « Diaspora » de la Knesset a consacré une séance à l’affaire allemande en matière de circoncision, au cours de laquelle l’ambassadeur d’Allemagne en Israël a rassuré l’auditoire - qui comprenait une dizaine de membres de la Knesset et plusieurs rabbins - en disant que « la Mila n’est pas, et ne sera pas interdite en Allemagne : la décision d’un tribunal local n’est pas un précédent valable Le gouvernement allemand ne peut pas intervenir dans les procédures judiciaires, pas plus que le gouvernement israélien d’ailleurs ".. En attendant, le principal organe rabbinique orthodoxe européen a exhorté les Juifs d’Allemagne à continuer de respecter le commandement de circoncire leurs nouveau-nés sans tenir compte de la récente décision de la cour. Le président de l’organisation, le rabbin Pinchas Goldschmidt, a dit qu’il trouvait inquiétant que les sondages indiquent que 45% des Allemands appuient la décision du tribunal. Pour sa part, la communauté juive américaine n’est pas restée inactive et, dans le cadre de cet effort, un groupe de vingt membres du Congrès américain appartenant aux deux partis principaux ont dépêché une sévère lettre de protestation à l’ambassadeur allemand aux Etats-Unis. Suite aux protestations locales et internationales, la chancelière Angela Merkel a déclaré : "Je ne veux pas que l’Allemagne soit le seul pays au monde où les Juifs ne peuvent pas pratiquer leurs rituels. Nous deviendrions alors la risée du monde entier." La décision du tribunal a toutefois obtenu des appuis, notamment celui du Forum médical laïque britannique qui a exhorté la chancelière Merkel à résister aux pressions et à maintenir l’interdiction de la circoncision : « Nous sommes choqués par le fait que les groupes religieux nient les dégâts médicaux [provoqués par la circoncision] et par les allégations fausses et hypocrites de ceux qui s’opposent à la décision du tribunal, et suggèrent qu’il y aurait là une trace d’antisémitisme. Nous vous appelons à ne pas céder à un tel chantage affectif qui cherche à vous inciter à changer la loi et à critiquer la décision du tribunal. "
Quel que soit le résultat politique final en Allemagne au sujet de la circoncision, l’affaire a dores et déjà fait boule de neige : le 23 Juillet, deux hôpitaux suisses ont suspendu temporairement toutes les circoncisions, en attendant une réévaluation de la politique, le 30 Juillet, le gouverneur de la province la plus occidentale de l’Autriche a conseillé aux médecins de suspendre les circoncisions, le 6 Août, le médiateur norvégien pour les droits des enfants a invité les Juifs et les musulmans à remplacer la circoncision masculine par un rituel symbolique et non-chirurgical, et le 20 Août, dans le Nord de la Bavière, des accusations criminelles pour cause de lésions corporelles ont été portées contre le rabbin David Goldberg suite à sa pratique de circonciseur.
L’ensemble de l’article est à lire en anglais en ouvrant le PDF
Messages
Bonjour,
Je suis assez étonné de cet article. pourquoi un rabbin condamnerai (ou pas) un acte médicale qui jadis était (à ce que l’on veut bien croire un bon remède ou préventif à certaine maladie)
Si la communauté des médecin considère qu’aujourd’hui les choses on changé, il est temps d’arrêter ce rite.
Cette réaction relève d’une fermeture d’esprit bien connu chez certains orthodoxe , mais pas dans la communauté massorti .
http://www.akadem.org/sommaire/colloques/le-couple-aujourd-hui/la-loi-juive-est-elle-un-frein-au-plaisir-20-03-2012-31935_4406.php
Si la circoncision devient prohibée par la loi au motif qu’il s’agit d’une lésion corporelle non consentie, qu’en est-il des lésions mentales non consenties ?
Sans parler, ici, de lésions physiques consenties (tatouages et/ou piercings, etc., pouvant aller, bien au-delà de banales injections de silicone, à l’incrustation sous-cutanée d’un certain nombre d’objets. Selon une certaine optique, non moins légitime que celle qui a prévalu dans la décision des juristes allemands (entre autres), ces pratiques ne pourraient-elles pas être taxées d’atteintes à la dignité humaine ? Mais n’ouvrons peut-être pas trop de pistes à la fois...
Par un certain nombre de choix effectués par les parents, ce qu’il est convenu d’appeler "éducation", en effet, on le sait, hypothèque voire condamne, de nombreuses "pistes" de développement mental et/ou intellectuel, le tout premier exemple étant celui de l’apprentissage de la langue dite "maternelle" : toute langue, pour un bébé, est en effet une langue étrangère, et lui en imposer une le privera à jamais des outils anatomiques pour en parler certaines autres au même niveau de maîtrise.
L’exemple de la langue me paraît le plus immédiatement signifiant, mais la boîte de Pandore recèle encore d’innombrables surprises...
Il me semble donc que l’argumentation basée sur le non-consentement de l’enfant, appliquée au cas de la circoncision, revient simplement à professer que le corps est plus inviolable, plus intouchable, en un mot : plus sacré, que l’esprit.
Ce qui pourrait, qui sait ? signer notre époque comme celle de la réhabilitation d’un paganisme décomplexé.